Ulysse de Taourirt
8 décembre 2021Une escale inédite d’Ulysse au Quai des Arts de Rumilly le 8 décembre 2021. Entretien avec Abdelwaheb Sefsaf , de la Compagnie « Nomade In France » ( vive l’humour!) pour évoquer la figure de ce héros paternel.
L’escale d’Ulysse dans la campagne présidentielle
Le titre est un peu intriguant. On connaît bien Ulysse, moins bien Taourirt qui se situe en Algérie. La pièce traite d’immigration, ce qui tombe bien en cette période de campagne présidentielle.
Il ne s’agit pas vraiment de l’immigration mais de l’arrivée de mon père en France, en 1948. À cette époque l’Algérie est française. Mon père quitte donc un département français, l’Algérie, pour un autre département français. Où il va travailler.
Et il devait normalement être considéré comme un Français.
En réalité il dépendait du statut de l’indigénat et n’était pas considéré dans les faits comme citoyen français.
Donner des plus humbles une image positive et héroïque
Votre inspiration pour cette pièce est autobiographique.
Très largement. Je suis allé rechercher dans le récit de mon père ce que l’on retrouve dans toute immigration. Beaucoup d’éléments sont similaires chez d’autres. J’ai voulu montrer comment cette histoire ressemble étrangement à celle d’un Ulysse. Il a traversé les flots, fait preuve d’héroïsme, échappé à la mort par deux fois. Il a laissé sa Pénélope de l’autre côté de la Méditerranée pendant dix ans. Je crée même une allégorie : le combat contre le cyclope devient le combat contre la France coloniale. Membre du FLN, mon père va se battre. Tous ces parallèles m’ont semblé troublants et pertinents pour présenter l’histoire de cet ouvrier ordinaire sous la forme d’un Ulysse homérien, aventurier digne d’héroïsme, de gloire. Ulysse incarne des vertus positives, à l’inverse de ces populations immigrées dont on a oublié l’héroïsme.
Rétablir une vérité
On a en tête les films Indigènes, Le Gône du Chaâba dans lequel jouait Fellag qui a continué sur scène de parler d’immigration, d’Algérie et de France coloniale avec un égal humour parfois grinçant. Avec la campagne présidentielle, on n’a plus qu’une seule version qui déforme et caricature jusqu’ à la portée de l’immigration.
J’essaye le moins possible de fabuler, de romancer. Je suis au contraire dans l’hyper concret. Il arrive tellement de choses à mon père qu’on peut se demander comment c’est possible. Il échappe à la mort à deux reprises. Orphelin, il entre dans la vie active à neuf ans, il lui arrive donc forcément plus de choses qu’au commun des mortels.
Remettre en perspective
Abdelwaheb Sefsaf endosse l’histoire de son père. Il en fait un Ulysse universel. Énée avait fui Troie en flammes, portant son père sur son dos. Avec cette représentation théâtrale, il s’agit de redonner leur véritable place à tous les immigrés. Nombre d’Ulysse sont demeurés de ce côté de la Méditerranée, oubliés, sacrifiés. Certains ont malgré tout pensé à eux. Le Café Social, Ayyem Zamen, par exemple, a été créé par Moncef Labidi pour aider les chibani esseulés. Taourirt se trouve en Kabylie. C’est vraisemblablement de cette région que vient la famille d’Éric Zemmour. On peut donc se demander si l’assimilation n’est pas une forme de lavage de cerveau. C’est d’ailleurs assez souvent ceux qui ont sacrifié leur mémoire à l’assimilation qui exigent le plus violemment des autres qu’ils passent sous les mêmes fourches caudines. Depuis sont rattachement à la France, la Savoie connaît bien la question.