La fresque restaurée à La Cour de l’Abbaye. Annecy

La fresque restaurée à La Cour de l’Abbaye. Annecy

9 décembre 2021 Non Par Paul Rassat

Rencontre avec Patricia Radix à qui nous devons la restauration de cette fresque. Celle-ci se trouve dans La Cour de l’Abbaye. Le travail a nécessité plusieurs mois de travaux et a été possible grâce à Christian Réal et à sa Fondation sise à Annecy-le-Vieux.

L’origine

Nous sommes dans l’oratoire des Dominicains. Le décor date de 1713, comme l’indique un cartouche sur le mur ouest. L’oratoire est le seul endroit qui témoigne de l’histoire de ce lieu habité pendant 171 ans par les Dominicains.

On peut imaginer d’autres traces à découvrir ?

Seul un acte notarié stipule qu’en 1623 le lieu a été cédé aux Dominicains. L’appellation d’abbaye est intéressante puisque les Dominicains ont habité un couvent. Le terme d’abbaye a sans doute permis de nommer en les réunissant ce domaine et celui, voisin, de Sainte-Catherine qui accueillait des sœurs. Pourquoi un petit oratoire ? Parce que le couvent se trouvait à l’emplacement actuel de l’église Saint Maurice. On suppose que cette annexe où se trouve l’oratoire leur permettait de travailler des vignes et des céréales.

Avant restauration

Manques, fragilité et surcharges maladroites

L’autel qui occupait l’espace entre les deux personnages a disparu, créant un vide. Avant la restauration, on soupçonnait la présence de personnages sans pouvoir les identifier. La lecture était très compliquée à cause d’ajouts de ciment pour consolider très vilainement la structure. Comme les enduits d’origine sont réalisés à la chaux, le ciment  bloque la respiration du mur et accentue la dégradation. Le retrait du ciment a été d’autant plus difficile qu’il ne fallait pas endommager la fresque par contre coup.

Comment restaurer ?

La restauration implique des décisions afin de conserver ce qui peut l’être sans nuire aux équilibres. Il faut savoir ne pas aller trop loin.

Tout ce qui existait encore a pu être dégagé, mis au jour. Là où l’on remarque de grandes lacunes, c’est qu’il n’y a définitivement plus de décor. La lecture de ce qui a été récupéré est rendue plus facile par le nettoyage que j’ai opéré. Il faut dire que la pièce avait été particulièrement malmenée. Elle a servi de cuisine ! Il a fallu consolider très profondément les murs. Le nettoyage a suivi le travail de maçonnerie. Il a permis de faire apparaître le décor dans toute sa splendeur avec des couleurs qui demeuraient assez fortes. Des ocres rouges, jaunes, ce qu’on appelle de la terre verte que l’on discerne à peine sur le feuillage. Le moment de la retouche picturale a été l’étape suivante. J’ai dû rester très modeste. La restauration interdit catégoriquement de prolonger un décor qui n’est plus. Aucune interprétation n’est possible.

Respecter l’œuvre, humblement

C’est une grande frustration.

Oui et non. Le respect du travail de l’artiste est tel que se l’approprier constituerait une usurpation. Il arrive en revanche qu’on nous demande de faire une restitution, impossible ici faute de documents. Ici, les parties manquantes qui ont été rapportées ont été représentées un ton en-dessous par rapport à l’original. J’ai aussi travaillé en trattegio pour souligner ces parties.

Lecture de la fresque

Les deux personnages qui se font face sont très réalistes, assez bruts. Le reste est plus doux, floral, avec les courbez des drapés.

Il s’agit de Saint Philippe à gauche et de Saint Jacques Le Mineur à droite. Ils sont toujours représentés ensemble et sont en lien avec les Dominicains. Ils forment ici une « peinture modeste » alors que la représentation du pape est plus fine. On pense qu’il s’agit de Grégoire IX bien qu’il soit du XIII° siècle. Il a canonisé Dominique de Guzman qui est le fondateur de l’ordre des Dominicains, et créé l’Inquisition [Voir Le nom de la rose, roman d’Umberto Eco et film] On aperçoit derrière lui le clocher d’une église gothique qui nous relie lui aussi au XIII° siècle.

Le travail d’enquête

Entre les murs est et ouest, l’effet de miroir fait qu’on retrouve les mêmes motifs. Ceci m’a permis de restituer des parties manquantes, comme sur les drapés. Les pots à fleurs, eux, ne sont pas vraiment identiques. Dans ce cas, il faut se contenter de suggérer. Deux autres pots à fleurs étaient mieux conservés. La guirlande du haut est composée de feuilles d’acanthe. On les retrouve à toutes les époques. J’ai pensé en les découvrant que les motifs en étaient  reproduits régulièrement autour de l’oratoire. Eh bien non ! Les motifs changent.

Les photos après restauration sont de Gilles Camillieri

Une enquête qui se poursuit de restauration en restauration

C’est un puzzle, un jeu de devinette qui fait appel à l’imagination mais toujours dans la rigueur et le respect de l’œuvre.

C’est un travail d’humilité au service de l’œuvre et de son style baroque. On retrouve dans l’église d’Argonay des fragments de décor du même genre. Ils ont été restaurés de façon moins respectueuse de l’original. On y retrouve cependant presque le même pot à fleurs, des éléments de drapé. J’adorerais découvrir que c’est le même auteur. Les artistes, souvent des Piémontais, tournaient au gré de leurs commandes et ne signaient pas leur travail.

Chaque travail de restauration enrichit votre expérience et vous permet de créer des liens d’une œuvre à l’autre.

On est effectivement très heureux quand on peut faire des rapprochements. Il me semble qu’il y a peu d’exemples aussi complets de cette époque à Annecy.