Benoît Peeters, comme Benoît Peeters
21 avril 2022En 2018 paraissait Comme un chef. Oleg lui a succédé en 2020. L’ensemble poursuit le parcours éclectique de Benoît Peeters. Étudiant brillant, il bifurque avant de s’enliser dans les études qui lui font cependant côtoyer Roland Barthes. L’écriture, romans, critiques, biographies, BD, gastronomie lui permet de faire voyager son esprit et de satisfaire sa curiosité.
Comme un chef
La préface de cet album est signée par Pierre Gagnaire. Bien que devenu un « chef » universellement reconnu, Pierre Gagnaire écrit : « Pas le choix : étant l’aîné d’une famille de restaurateurs, j’ai eu droit à la toque ancrée sur la tête à quatre ans. Et malgré mon parcours, je ne peux m’empêcher, quand je regarde la photo prise à l’occasion, de penser que j’aurais aimé pouvoir décider.
Le cinéma, la littérature, le dessin, l’architecture, la peinture, la photographie, le design…Alors pour donner du sens à mon métier, il m’a fallu inventer un moyen de m’exprimer en dehors des conventions et des traditions culinaires de l’époque…On m’a qualifié de fou ou d’artiste… »
L’exigence d’être soi
Comme un chef explore l’exigence de la curiosité intellectuelle. De cette conversation incessante entre soi et le monde. Si on y aperçoit Michel Guérard, Alain Senderens, Claude Peyrot et d’autres, ce n’est pas uniquement pour la cuisine. Il s’agit de l’univers unique que chacun est capable de créer. Exigence de laquelle part l’auteur. Ceci donne des parcours atypiques, entre Barthes, Derrida, Ferenczi, Tintin et El Bulli. Le poids des mots, le choc des casseroles , des sensations et des émotions !
Oleg
Le livre commence par une citation qui donne le ton « Tout ce que nous appelons « réel » est fait de choses qui ne peuvent pas être considérées comme réelles. » Niels Bohr. Et tout ce qui s’ensuit en découle ! On notera en premier lieu l’absence de numérotation des pages. Impossible de saisir les effets du temps qui passe à tourner les pages qui nous font tourner les neurones. L’une d’elles montre le héros traversant un cimetière. Seule réplique : le chant d’un oiseau. Monde inversé.
Jeu permanent de construction – déconstruction –reconstruction
Comme un chef n’est pas Un chef. Benoît Peeters est cependant un chef dans d’autres domaines. Celui du jeu de construction en particulier. Sa biographie de Derrida compte plus de 700 pages. Son Ferenczi en compte presque 400. Mais il s’attribue dans Oleg des livres écrits par d’autres. Le partage du monde est Kebir Mustapha Ammi. L’homme inutile de Pierre-Noël Giraud. Il y a du Gary / Ajar chez Peeters de qui le héros Oleg emprunte son nom au Lego.
Jeu toujours et vision
Chez l’ophtalmologue, Oleg demande quelles sont les dimensions de la réalité. Oleg et les lecteurs naviguent en permanence entre les spéculations existentielles et les contraintes quotidiennes. La famille tient lieu d’ancrage. La question de la photo qui vole l’âme ? Le clinamen de Lucrèce. Entre toutes ces dimensions, la création. Zamé, un personnage créé par Oleg, sort de la fiction pour venir lui poser une question : travailler en lien avec l’actualité, viser l’éternité ? Question que ne lui ont pas posée les élèves rencontrés pour un échange décevant. Mais n’oublions pas que l’album Oleg garde la réalité d’une fiction. Zamé nous renvoie à La rose pourpre du Caire.
Le bruit du monde
Des séances de dédicace, Oleg retient un bla bla bla général. Un bruit de fond qui parasite la réflexion. Le monde est du bruit, un parasitage qui interdit la pensée. Bla bla, ding dong, clic clic clic brrrrr tip tip tip. Le bruit de soi, de la société, de la politique, des clichés, de la manipulation, de ses propres doutes…La mécanique routinière pourrait permettre d’échapper à la perception de ce parasitage. À quel prix ? Celui d’être soi ? De créer ?
Découvrir sa vie
Une citation que Talpa aime bien. « On n’écrit pas pour rapporter sa vie dans ses livres, mais pour la découvrir. » Alan Bennett La reine des lectrices. Voici la réponse de Talpa à cette remarque de Benoît Peeters « C’est très prétentieux d’écrire avec sa vie. » Il est même très prétentieux de vouloir vivre vraiment. Le hasard faisant les choses, bien ou mal, Oleg se termine par le départ en voyage du héros, sac en bandoulière portant l’inscription « Vous » et en commentaire « Je reviens ». C’est aussi le message que Talpa a vu dans l’exposition d’Élodie Lesourd.