Festival d’Avignon
30 juin 2022Le Pont d’Avignon se perd, au-delà de sa quatrième arche, dans l’espace du rêve. Il enjambe l’espace qui mène plus loin que le réel. D’où le Festival d’Avignon, officiel et périphérique, dans la cour et hors cour, côté jardins, bistrots, arrière- cours. Dans les années 70, on était heureux d’y découvrir sous les tee-shirts des poitrines libres de soutien-gorge. La guerre de Troie n’aura pas lieu au Palais des Papes, Pierre Clémenti côté jardins. La Place de l’Horloge sonnait l’heure d’un grand espoir. On y vendit même de la didactique avec la revue Pratiques. C’est dire ! Et puis, le Festival est devenu d’Avignon comme les Bêtises sont de Cambrai. Il fait polémique, survit aux héritages, il s’auto alimente. Le tout théâtre s’y retrouve un peu comme le troupeau à l’étable. On avignonne et on désavignonne comme on emmontagne et on démontagne. C’est le principe de la transhumance.
Faire son marché
Le Festival est un grand marché façon Rungis. On y vient faire ses provisions pour la saison. Il suffit ensuite de touiller et de tourner de ville en ville et d’accommoder les plats en fonction de la cuisine locale…
L’avis de Hugo Roux (Compagnie Demain dès l’aube)
Mercredi 29 juin. Rencontre en toute décontraction avec Hugo Roux à la Maison de Malaz, Annecy. Juste à côté, une troupe répète. Le Festival commence officiellement ce soir, même si les élus ont été reçus hier.
— Tu parles du Festival d’Avignon et de transhumance. Tous les élus étaient là hier. Je les remercie d’apporter leur soutien au Festival de Malaz et à la compagnie « Demain dès l’aube ». J’ai rappelé, juste avant notre départ pour Avignon que le Festival de Malaz est notre ancrage territorial, local, notre raison d’être. On y emmagasine toute l’énergie nécessaire pour rayonner ailleurs. Les affiches d’Avignon sont visibles à Malaz. En trois jours, j’ai fait mille huit cents kilomètres allers-retours pour installer le spectacle à Avignon. C’est un événement où je me rends chaque année depuis le lycée.
L’autre côté du miroir
Quelle image en avais-tu au tout départ ?
Plutôt fascinante. Et puis je me suis rendu compte par la suite que c’est un méli-mélo de choses disparates. C’est un endroit très triste quand on regarde derrière le miroir. Certains se ruinent au bout de quelques représentations sans public. J’ai encore croisé récemment un régisseur qui me le rappelait.
Derrière les affiches
Le spectateur ne voit que l’autre côté. Celui où il se trouve.
Le côté magique. Les affiches de 1500 spectacles. Cet énorme hypermarché qui ne montre que son aspect vernis. Il ne s’agit pas de critiquer naïvement mais de s’interroger. Je suis souvent en colère contre certains artistes qui pourraient prendre la parole grâce à leur légitimité. Mais il y a toujours un risque à prendre la parole sur des problématiques politiques. Lors d’un échange pour un magazine, un syndicaliste rappelait qu’Avignon est l’une des villes les plus pauvres de France. La ville ne survit que grâce au Festival. Pendant un mois, tout explose. Même les loyers ! Des maisons se louent à 40 000 euros pour le mois. Ce syndicaliste disait que cette manne profite à tout le monde sauf aux artistes. Aux artistes grâce auxquels le Festival existe.
Un Festival pour tout le monde, malgré tout
Il y a toujours ce clivage entre le in et le off ?
Je ne suis pas dans cette approche. Chacun peut avoir sa place. L’élite et le off. Il n’y a plus de logique de guéguerre entre les deux. Ils cohabitent. Le off est un joyeux merdier qui regroupe des troupes de lycéens et des directeurs de CDN. Je suis programmé dans un théâtre qui reçoit aussi le directeur du CDN de Caen, celui de Sartrouville qui font leurs mises en scène.
La conversation rejoint un échange précédent sur la culture et l’argent.
Avignon est le seul endroit de France où la logique est inversée. Ce sont les troupes qui paient, assez cher, pour louer les salles. Habituellement c’est le théâtre qui achète ton spectacle. Ceci dit, Avignon, j’en rêve depuis tout petit. Tu y croises tous les gens de la profession.
La ville elle-même devient théâtre
À la fin d’une aventure théâtrale de deux mois, par exemple, tu as vécu un truc inouï. » On se sépare, on se rappelle pour faire une bouffe, on se voit à Paris… » Mais une autre aventure nous embarque ailleurs, vers d’autres gens avec lesquels on tisse les mêmes liens. Et pourtant, quand on se retrouve, la même intensité renaît aussitôt.
Avignon t’apporte ça chaque jour.
Tout ça continue de me fasciner. Je savais cependant qu’il fallait aller à Avignon avec de solides atouts pour gérer un budget qui satisfasse toute la troupe de manière professionnelle.
Leurs enfants après eux à Avignon
Vous y aller avec « Leurs enfants après eux » ?
Oui, et la qualité du spectacle est aussi importante que le budget. Avec cette pièce, la communication s’est faite presque d’elle-même. On en a parlé un peu partout. Notre équipe est très énergique, elle brûle pour ce genre d’aventure et se donne à fond. Le roman de Nicolas Mathieu a été venu à 600 000 exemplaires.
Je me souviens de l’émotion de Nicolas Mathieu à Thonon.
Tout est réuni pour qu’on se dise « Fonçons ! »
Post theatrum ?
La formule affirme « Post coïtum animal triste. » Après Avignon, que se passe-t-il ?
On m’a posé la question sur l’après Malaz. Pas le temps d’être triste puisqu’on part immédiatement pour Avignon. Et puis les projets à venir sont déjà sur les rails. J’ai enfin réussi à signer les droits pour Les raisins de la colère. Je suis en pleine adaptation afin que le spectacle puisse naître en 2024 à Thonon.
À suivre, tant que le rideau veut bien s’ouvrir !