« Année Zéro », Mlle Caroline
4 juillet 2022Rencontre avec Mademoiselle Caroline chez BD Fugue Annecy. Elle est venue dédicacer Année Zéro. Prétexte à discuter très librement et agréablement de BD, de rugby, de la vie…
Le rugby comme épanouissement
À quand un album sur le rugby ?
Il sort en septembre 2023. Je commence l’écriture, je fais tout, scénario et dessin. Je sais à peu près où je vais aller puisque je l’écris dans ma tête depuis cinq ans. Le problème est que j’ai envie d’en dire tellement ! L’histoire sera basée sur ma propre expérience mais il n’y aura rien à voir avec moi. C’est l’histoire d’une trentenaire qui se fait chier dans son boulot, avec son mec, qui se fit marcher dessus par tout le monde. Elle se découvre en se mettant par hasard au rugby.
Trouver sa place
Que vous apporte le rugby ?
Le rugby a changé ma vie ! Malheureusement j’ai commencé beaucoup trop tard. Je ne me suis jamais aimée physiquement. Le rugby m’a donné ma place. Mon corps n’est pas gros, il est puissant. Les filles en face ne disaient pas « Elle est grosse » mais « Elle va faire mal ! ».
Se libérer
C’est comme sur une scène de théâtre. Chacun a sa place, quelle que soit son apparence, à condition d’être juste.
C’est ça. On pense que c’est un sport typiquement masculin parce que de contact. Une femme est aussi agressive qu’un homme ! Pendant les entraînements, pendant les matchs, vous avez le droit d’être aussi agressive qu’un homme. Vous devez l’être ! Vous avez le droit de vous rouler dans la boue, d’être sale, d’être vulgaire. Tout ce qui vous est interdit culturellement en temps normal. Ça donne une confiance en soi fantastique. Toute l’entraide d’un sport en équipe s’y ajoute.
Petit parallèle avec le football féminin évoqué déjà dans Talpa.
En réalité, on fait comme les hommes le veulent, comme ils nous laissent faire. C’est pourquoi il faut qu’on nous explique jusqu’où on peut aller.
La vie n’est pas linéaire
Le rugby comporte des phases de désordre total qui mènent à des jaillissements. C’est comme dans la vie, alors que les gens croient à une progression linéaire. C’est comme les déprimes, il ne faut pas y voir que du négatif. Les choses se reforment.
Il n’est sorti que du positif de mes dépressions, même si c’est l’enfer sur le moment.
Nous sommes des interfaces
Bon, nous partons de loin pour parler de cet album. L’une de ses clefs semble être cette double page. Vous nous faites entendre une voix qui vient de l’intérieur de l’hôpital alors qu’on est encore devant l’entrée. Tout le livre est dans cette relation intérieur / extérieur, hors du ventre / dans le ventre , la sage-femme/ la femme enceinte, l’intime/ le public, soi / l’autre, son regard, le discours plaqué / la réalité… Ces zones de rencontre demandent des ajustements permanents.
La vie serait beaucoup plus simple sans ces décalages ! J’aimerais être de ces gens qui ne se posent pas de questions !
Gérer !
Nous ne serions pas en train de discuter.
C’est vrai. Mais on attend de nous que nous sachions gérer, surtout quand on est sage-femme. Son bonhomme lui renvoie toujours la balle en lui disant « Tu sais gérer, tu sais faire. » Ses copines aussi.
« Ça m’est arrivé »
Les mecs interviennent très maladroitement, même dans le milieu médical.
Parce que ça m’est arrivé. Le médecin connard qui ne voit pas la personne derrière un gros ventre. Pendant tout mon accouchement l’anesthésiste m’a dit « Madame, vous n’avez pas mal, vous avez peur. » Des années plus tard, j’ai appris que j’avais été victime du syndrome de Claude Bernard-Horner ! Le personnel le savait pendant mon accouchement ! Il savait que la péridurale n’était pas efficace, que j’allais accoucher de jumeaux, dont ma fille par le siège !
Le fil rouge
Et au rugby, vous discutez les décisions de l’arbitre ?
Jamais ! Jamais (prononciation un peu traînante, insistante. On y est complètement, rires en plus).
Votre façon d’utiliser les couleurs anime parfaitement l’histoire, et puis il y a ce fil.
Je ne sais même plus très bien comment il est venu. J’essaie de trouver une particularité pour chaque album. L’utilisation d’une plume, un parti pris graphique. Ce fil symbolise l’envahissement qui se produit quand on ne gère plus. L’envahissement des émotions, du stress. Je ne sais plus comment j’ai trouvé ce fil rouge.
Vous en jouez comme d’une partition. Par moments il se relâche, puis se resserre, devient une prison.
En fonction du stress, de l’angoisse, du trop. Du trop de la vie.
« On ne râle jamais pour rien »
Votre livre se termine sur l’annonce d’un deuxième enfant. Ça veut dire que toutes ces perturbations ne servent à rien ?
On ne râle jamais pour rien ! On peut râler pendant un moment et le reproduire en espérant que ça se passe mieux parce qu’on a râlé. (Ton légèrement interrogatif).
Ou bien on replonge dans le même processus.
On reproduit toujours un peu les mêmes schémas. C’est la vie.
Le scénario n’est pas de vous.
Il est d’Anna Roy, mais je l’ai entièrement réécrit avec son accord.
Mise en abyme
Il y a même une Caro, comme dans tous vos albums.
J’y suis toujours, mon mari aussi. C’est une sorte de clin d’œil à la Hitchcock., toutes proportions gardées. Je serai aussi dans l’album sur le rugby.
Vous jouez à quel poste ?
Ha, ben, pilier. La grosse qui est devant ! Qui sait pas faire les passes et qui court pas ! (rires).
Si je comprends bien votre parcours, il y aura plus tard Comment vivre avec les deux jambes dans le plâtre, Comment vieillir, Vivre dans un fauteuil roulant… et ça se termine à l’EHPAD.
Il y aura sûrement la ménopause. Le divorce, j’espère pas ! Le mariage de l’enfant…On verra bien.
Et la pure fiction ?
Vous vous inspirez toujours plus ou moins de votre vie. Vous ne publiez pas de pure fiction ?
J’ai pourtant dans mes tiroirs des scénarii de fiction. Je ne les ai pas encore proposés, c’est vrai. Après le rugby, il est question d’une BD sur les mères toxiques.
Est-ce vraiment une interview ? Plutôt une conversation comme Talpa les apprécie. Très libre, vivante, mêlant différents niveaux d’expression qui partent tous d’une véritable et sincère recherche de soi.