« Le problème Spinoza » de Irvin Yalom
15 juillet 2022À la fin de son roman Le problème Spinoza, page 536 de l’édition du livre de Poche, l’auteur écrit quelques explications sous le titre Faits ou fiction. À quoi s’en tenir. « J’ai voulu écrire un roman qui aurait pu se produire. »
Rosenberg
Par le biais des livres constituant la bibliothèque du musée Spinoza, Irvin Yalom fait se rencontrer Baruch Spinoza et Alfred Rosenberg qui ont vécu à trois siècles d’écart. Rosenberg aura été l’un des théoriciens du nazisme, acharné contre les Juifs. Il aura tout fait pour mériter, parfois en vain, la reconnaissance de Hitler qui lui confia la responsabilité de récupérer dans toute l’Europe conquise les biens juifs : œuvres d’art, livres… Rosenberg ira jusqu’à la plus basse obséquiosité pour de faire admettre dans le premier cercle nazi. Il était convaincu de sa supériorité intellectuelle. Les tests passés à Nuremberg à l’occasion du procès qui aboutit à sa condamnation à mort et à celle d’autres dignitaires nazi, révélèrent un modeste QI de 124.
Spinoza
Baruch Spinoza provoqua pratiquement son excommunication de la communauté juive d’Amsterdam. Il plaçait la raison au-dessus des rites destinés à souder et à hiérarchiser cette communauté. « Je ne crois pas que le questionnement soit une maladie. L’obéissance aveugle sans questionnement est la maladie. » « J’éprouve de la joie dans l’étude en soi, pas nécessairement dans son contenu. » Spinoza veut faire de la raison une passion car la raison ne suffit pas pour nourrir une vie. Rosenberg habille sa passion et ses préjugés de raison.
Faits ou fiction ?
L’approche psychiatrique et psychanalytique de l’auteur plonge au cœur des mécanismes de pensée, des motivations les plus secrètes et des ambiguités des personnages. Accumulation de préjugés, sentiment d’infériorité se muant en sentiment de supériorité pour Rosenberg. L’inverse pour Spinoza, d’une modestie extrême mais de qui la pensée éclaire encore notre époque. Ce roman mêle l’Histoire, la narration, le public et le privé, les plus hautes et les plus basses aspirations personnelles. L’intrigue permet de visiter tous les grands sujets de réflexion : morale, éthique, raison, préjugés, soif de reconnaissance et désir de solitude, besoin de cohésion sociale et liberté personnelle, condition des femmes, religion, racisme, relation à la Nature… Sa construction brillante pénètre toutes les couches de l’esprit humain liées à soi, aux autres, au monde.
De la compréhension à la création
Irvin Yalom cite Einstein « La clé de la création est de savoir garder le secret de ses sources. » Pourtant, bien que l’auteur explique sa démarche pour écrire Le problème Spinoza, on ne démêle pas facilement ce qui relève des faits ou de la fiction. C’est une création véritable. Une anecdote éclairante: lorsque Rosenberg est en possession de sa bibliothèque, il pense pouvoir enfin résoudre le problème Spinoza. Comment un Juif peut-il avoir été un génie tel qu’il provoqua l’admiration de Goethe ? Mais il réalise que tous les livres qui composent cette bibliothèque sont écrits dans des langues qu’il ne lit pas. Il arrive que nous ayons toutes les données pour comprendre mais que nous n’y parvenions pas.
Le mot de Talpa
Dans Petit lexique des mots essentiels, Odon Vallet étudie le mot spectacle. L’article se termine avec ces lignes. « Tout le problème est de savoir s’il y a des choses qu’il faut ou non laisser dans l’ombre ; et l’on conclura cette brève analyse spectrale en remarquant que le regard n’est jamais neutre, qu’il est toujours déformé par l’amour, la haine ou, plus simplement, l’âge et l’usure. Nous dévisageons le monde avec nos verres correcteurs et chaussons de bonnes vieilles lunettes que l’anglais appelle spectacles. » Baruch Spinoza polissait des verres et des lentilles de télescope pour gagner sa vie et ce que certains appelleraient sa « liberté de penser ».
Et le mot de la fin
» Je recherche le vécu joyeux qui naît non pas tant du lien que de l’abolition de la séparation. » À méditer en ces temps de réseaux sociaux, de réseautage…