ANNECY, CAPITALE FRANÇAISE DE LA CULTURE ?

ANNECY, CAPITALE FRANÇAISE DE LA CULTURE ?

10 avril 2021 Non Par Paul Rassat

En attendant, quelques éléments peuvent participer aux fondations de cette démarche dont on mesure toute la portée en ces temps de repli imposé. On y mesure l’intérêt de la culture comme jeu, comme nourriture, comme lien social, comme moteur de l’économie.

Étude réalisée pour le CLD Annecy 

En 2017, Jacques Lévy et Romain Lajarge avaient réalisé une étude pour le compte du Conseil Local de Développement. Voici une synthèse très partielle de leur travail.

Comment Annecy veut, peut et doit changer pour être mieux elle-même ?

Autosatisfaction

Parmi les problèmes pointés par ce travail, la mobilité. La mobilité en termes de déplacements, bien sûr. La mobilité en termes d’évolution de l’identité aussi. « L’enraciné et l’immuable seraient les ressources de l’être-annécien tandis que l’histoire en train de se faire constituerait une réalité périphérique de l’identité ? » écrivent  Jacques Lévy et Romain Lajarge. Et plus loin « L’autocritique est rare et le statuquo une vertu : « tout va bien » et il est donc préférable de « ne toucher à rien ». Or, un autodiagnostic reconnaitrait probablement les contradictions internes, la nécessité d’une relecture des héritages historiques, culturels, patrimoniaux, la nécessité d’un travail de reformulation de ses atouts et la fabrication d’autres images complémentaires pour s’accorder sur les nouveaux enjeux de développement. » On lit aussi « . Bénéficier (toujours plus) de la même chose….il faut d’abord préserver « la qualité de vie ici ».

Nécessité de jouer collectif 

Repli et égoïsme

Lors de cette restitution d’enquête, les deux universitaires pointaient l’absence d’un véritable « Nous » à Annecy et autour du lac. Ils soulignaient la nécessité d’un nouveau modèle social axé davantage sur le partage. Les répliques de deux élus furent significatives. Pour l’un, cette synthèse s’appuyait sur la consultation de citoyens qui ne connaissent pas les vrais problèmes. Pour l’autre, les problèmes sont dus aux étrangers.

Les deux universitaires pointent les avantages, les inconvénients, les points de tension, les changements nécessaires, les freins. Cet article ne peut rendre compte de leur travail et n’en reprend que certains axes. La nécessité de se lier aux montagnes, aux rives du lac plutôt que de demeurer sur une identité figée.

On ne peut se contenter de « faire toujours plus de la même chose » et il faut prendre en considération la mixité sociale.

Conclusion

 » Certains points appellent le changement : les phénomènes de rente (touristique ou genevoise) à maîtriser ; le choix d’une position stratégique pour Annecy en assumant la proximité de Genève et en désenclavant, dans les esprits, l’identité géographique d’Annecy, plus française, européenne et mondiale que seulement haut-savoyarde. En engageant un exercice de prospective ouvert à tous et ambitieux, en repensant un projet de développement propre à prévenir les risques d’épuisement du dispositif actuel, en ouvrant des pistes inédites, en comptant sur une scène publique active, il serait possible de conforter la diversité des activités, la qualité des modes d’habiter et de travailler qui est sans conteste une richesse d’Annecy. Aux citoyens de hiérarchiser dans ces ressources en fonction d’une stratégie, d’un objectif, d’une vision ou, au moins, d’un horizon. « 

[Cette étude a été réalisée entre septembre 2015 et mars 2017 sous la direction scientifique de : Jacques Lévy, Professeur à l’EPFL, chercheur à Choros, Romain Lajarge, Professeur à l’ENSAG de l’Université Grenoble Alpes, chercheur à AE&CC]

À ce travail universitaire d’enquête, il est utile d’ajouter une autre approche qui retrace les prémices de l’univers culturel annécien.

Le souffle de Michel Vinaver

Lors d’une conférence tenue en 2015 au château d’Annecy, Michel Vinaver, grand homme de théâtre, rappelait le terreau et l’effervescence culturels au lendemain de la 2° guerre mondiale dans la région et plus particulièrement à Annecy. Beaucoup ne savent pas ou bien oublient que le Festival International du Cinéma d’Animation est né sur ce terreau.

   Michel Vinaver insiste sur la multiplicité des disciplines proposées « cinéma, photo, radiophonie… » et sur le sens de toute la démarche en citant cette phrase de Paul Thisse « Rendre le peuple à la culture, rendre la culture au peuple. »

Peuple et Culture

     » Culture, peuple, mots qui aujourd’hui ont un son amorti, mais dont l’alliage alors était tout neuf, de sorte que le sigle PEC, pour Peuple et Culture, à Grenoble et à Annecy, a inauguré – à Annecy plus qu’à Grenoble – une période d’extraordinaires accomplissements. « 

Une efflorescence de la culture

   « Je dis « extraordinaires » parce qu’il n’y a pas d’autres exemples dans la France d’après la Seconde guerre mondiale d’une si intense et si durable efflorescence de la culture toutes barrières sociales mises entre parenthèses, champs comprenant aux côtés du théâtre le cinéma, avec le cinéclub le plus important de la France métropolitaine, fondé et dirigé par Henri Moret, et la création du Festival international du cinéma d’animation par l’équipe Moret-Gondran ; la musique avec AJA, l’étincelant Annecy Jazz Action ; et le Musée, avec le très innovant conservateur Jean-Pierre Laurent, organisant de très décoiffantes expositions ici-même. La photographie n’est pas en reste avec Odesser, avec Littoz-Barritel. Il n’est pas jusque dans la publicité, dans le design, qu’un vent d’expérimentation et de liberté souffle dans Annecy, avec les créations de Léo Gaget , d’André Paccard. « 

Risquer l’utopie

La municipalité, avec Charles Bosson et le docteur Servettaz, sait se montrer ouverte à ces initiatives. Ainsi l’Histoire, la culture et la politique conjuguent leurs efforts pour produire un terreau unique, propice à l’éclosion de ce dont la région bénéficie encore de nos jours.

    » Aujourd’hui, est-il utopique de penser qu’une autre forme de résistance est en train de prendre…un rejet de ces déesses jumelles que sont Atonie et Rien à cirer…Conserver et alimenter la mémoire de Gabriel Monnet à Annecy, à Bonlieu Scène Nationale, c’est rappeler qu’on peut, quand on n’est pas grand-chose, partir de rien ou de presque rien, une envie, une idée, et laisser de côté toutes les bonnes raisons de se dire : arrête ! c’est trop compliqué ! c’est trop coûteux ! c’est trop dérangeant pour trop de gens !il n’y a pas de format pour ça ! et de toute façon c’est impossible ! 

   L’aventure de la culture continue .Comme la liberté, nous devons la défendre chaque jour. Vous et moi en sommes la mémoire vivante, les témoins, les acteurs et nous contribuons à la transmettre. « 

Le mouvement de la passion : Léon Laydernier

Dans Souvenirs d’un banquier savoyard (Gardet et Garin 1947) Léon Laydernier écrit  » Le monde va vite. La période de l’histoire économique que j’ai connue est sur le point de disparaître. Je puis le regretter ; je ne suis pas assez aveugle pour ne pas comprendre que tout change et que, quel que soit notre désarroi en voyant disparaître toutes les formes de vie que nous avons connues, nous ne faisons que passer par les mêmes émotions que ceux qui nous ont précédés. Les hommes ont poursuivi leur chemin sur la route indéfinie des âges et voilà tout. …je me suis souvenu…de tout l’intérêt que j’éprouvais moi-même à sentir les hommes derrière les choses…« 

A lire simplement la table des matières on voit de quelle façon la vie et les activités de Léon Laydernier ont été liées intimement au territoire : La Banque (bien sûr) créée pour répondre aux nécessités locales alors qu’une carrière s’offrait à Léon Laydernier dans le berceau de la Banque de France ; le Tramway Annecy-Thônes et l’ouverture au tourisme ; l’Ere de l’électricité dans la région. La Société des Forges du Fier ; Nouvelles Usines ; La Clinique Générale ; le Chemin de Fer de Montenvers…

La mesure de la richesse

Alain Caillé écrit, dans L’idée même de richesse

 » Si mesure pertinente de la richesse il doit y avoir, c’est donc certainement en premier lieu à l’échelle des individus ou des territoires. Non pas en se demandant en quoi ces territoires se conforment à une liste de critères généraux établis à l’avance et censés valoir pour l’humanité entière et pour tous les temps, mais, au contraire, à partir des définitions et des critères de richesse – ou de prospérité, ou de bien-être, etc.- élaborés par les habitants eux-mêmes, pour un temps donné, en fonction de leur inscription concrète dans un espace-temps social, culturel, économique et historique déterminé. Au-delà ou en amont de la mesure elle-même, l’élaboration des indices devient alors un outil de participation et de délibération démocratique. « 

La passion

Où est la passion dans tout ceci ? Léon Laydernier était pianiste et mélomane. La passion joue certainement dans l’approche des autres, dans la conception de la relation aux autres et à notre environnement sous la forme d’un échange harmonieux plutôt que dans la soumission ou dans la volonté de domination, toutes deux s’incarnant dans l’étroitesse d’une contrainte binaire plutôt que dans l’ouverture au mouvement. Ouverture que propose et fait vivre la culture.

Donner du sens à cette candidature : dépasser l’inventaire et la scénarisation

Une page d'Histoire
Espérance II

La candidature d’Annecy ne fait sens que si elle permet de retrouver cet esprit d’aventure qui fédère et réveille les énergies quand certains se contentent de profiter d’un « merveilleux terrain de jeu ». S’inspirer du passé pour se projeter dans l’avenir. Unir les personnes, les volontés, la ville et les rives du lac, l’ensemble du territoire dans un feuilletage d’entreprises culturelles. Le Festival du Cinéma d’Animation y réussit à la fois à chaque édition et de façon continue puisqu’il est la partie émergée de CITIA. Une réalisation comme Espérance III en est une autre illustration : lien entre l’Histoire, la pédagogie, le tourisme, la tradition vivante et inspirée.

Retour à l’utopie

L’intérêt d’une telle candidature pourrait être de révéler un maillage culturel dont la richesse et la diversité sont parfois masqués par certains spots dont les lumières fascinent. Il y faut un projet commun, une forme d’utopie qui ne se limite pas à un inventaire ou à une scénarisation. Une motivation intrinsèque.

À suivre !