Autophagie

Autophagie

24 août 2023 Non Par Paul Rassat

De l’abondance à la pénurie, nous ne faisons que manger la nature, dont nous faisons partie. Nous pratiquons donc l’autophagie. Voici l’épisode six d’Une brève mais véridique histoire de la gastronomie.

Victor Hugo, le « loup-cervier »

D’après Sainte-Beuve, Victor Hugo avait des dents de loup-cervier. Il mangeait les oranges sans les peler, introduisait un morceau de sucre dans une mandarine et avalait le tout en broyant la peau et les pépins ; c’est ce qu’il appelait un grog Victor Hugo. Il traitait les crustacés comme les oranges, avalant la carapace et la chair. Et Sainte-Beuve d’ajouter « L’histoire naturelle connaît trois grands estomacs : le canard, le requin et Victor Hugo ! »

Cet appétit se traduisit par une sexualité débordante, une œuvre littéraire plus que considérable, des discours mémorables, un engagement politique incroyable.

De l’abondance à la pénurie

Appétit qui connut quelques vicissitudes en 1870, pendant le siège de Paris par les Prussiens qui vit les habitants de la capitale dévorer les animaux du zoo puis les chats, les rats et les souris qui infestaient la ville. Hugo écrit :

« J’ai payé quinze francs quatre œufs frais, non pour moi,

Mais pour mon petit Georges et ma petite Jeanne ;

Nous mangeons du cheval, du rat, de l’ours, de l’âne ;

Paris est si bien pris, cerné, muré, noué,

Gardé, que notre ventre est l’arche de Noé ;

Dans nos flancs, toute bête, honnête ou mal famée,

Pénètre, et le chien, et le chat, le mammon, le pygmée,

Tout entre, et la souris rencontre l’éléphant…

Mon dîner me tracasse et même me harcèle,

J’ai mangé du cheval, et je songe à la selle ! »

Et plus tard :

« Je lègue à Paris, non pas ma cendre,

Mais mon bifteck, morceau de roi ;

Mesdames, en mangeant de moi,

Vous verrez comme je suis tendre ! »

La nature est bien faite (Nous aussi ?)

Nous sommes ce que nous mangeons, la nature a tout prévu en ce sens puisqu’elle a conçu le melon dont les côtes servent de repères pour être mangé en famille et le nez ainsi que les oreilles pour porter des lunettes. Celles et ceux qui en sont dépourvus de naissance ou à la suite de jugements radicaux portent des lentilles, c’est bien connu.  Roland Barthes le confirme dans « Mythologies » aux pages consacrées à ce thème « Le bifteck et les frites ».

« Le bifteck participe à la même mythologie sanguine que le vin. C’est le cœur de la viande, c’est la viande à l’état pur, et quiconque en prend, s’assimile la force taurine. De toute évidence, le prestige du bifteck tient à sa quasi-crudité : le sang y est visible, naturel, dense, compact et sécable à la fois… »

Nous mangeons la nature…dont nous faisons partie.