Catherine Meurisse, dessins et desseins

Catherine Meurisse, dessins et desseins

12 décembre 2022 Non Par Paul Rassat

Rencontre avec Catherine Meurisse venue dédicacer son dernier album chez BD Fugue Annecy le 10/12/2022. C’était noël avant l’heure. Un cadeau d’humour, d’intelligence et de naturel autour de ses dessins et albums.

Payer l’addition pour continuer

Catherine, j’ai choisi un dessin dans chacun de vos trois derniers albums. Pour La légèreté, c’est celui qui vous montre au Grand Hôtel de Cabourg où vous prenez le « goûter Marcel Proust ». Le garçon apporte l’addition et dit «  S’il vous plaît. Bonne continuation. » J’y ai vu beaucoup de choses, j’aimerais savoir ce que vous y avez mis.

Rire de Catherine Meurisse.

Voir son propre livre

Payer la facture pour pouvoir continuer… ?

Je ne l’avais pas vu comme ça. Ça fait partie des surprises. On se rend compte du livre qu’on  fait une fois qu’il est terminé. Parfois on y découvre des choses bien longtemps après. Je n’avais pas pensé à la continuation au sens de la temporalité alors que je traversais un moment de perturbation intense. Je n’ai rien inventé, tout est malheureusement vrai dans cette scène vécue avec une amie qui habite Annecy maintenant. Comme beaucoup de mes amis, elle avait essayé de m’aider en 2015. Elle m’avait promené de lieu en lieu en espérant réveiller quelque chose.

Quand la madeleine ne fonctionne pas

On pense à Proust découvrant La Berma sur scène et ça ne marche pas, c’est un flop.

Exactement. Mon cerveau était tellement encombré à cause du choc traumatique. Je ne pouvais plus rien lire, ni entendre, que voir les choses et les ressentir dans une hyper perception, une hyper sensibilité. C’est pour cette raison que La légèreté parle surtout d’œuvres d’art visuelles. La sculpture à Rome…

Il s’agit de courcircuiter certains liens pour se rebrancher autrement.

Oui. Proust ne marche pas. Mais la présence de la mer à Cabourg, les peintres qui l’on représentée marchaient mieux sur mon cerveau. De même, à Rome, ce n’est pas vraiment Stendhal qui m’aide.

Des yeux immenses

Stendhal n’aide personne, il est froid.

Je préfère Balzac. C’est cependant la visite guidée de Rome, avec les ruines si vivantes du Forum…Ça fait penser à Catharsis que Luz avait sorti quelques mois avant ; en relation avec la tragédie de Charlie. Son personnage avait les yeux exorbités. Luz et moi nous sommes retrouvés dans la rue au même moment en janvier 2015. Nous avions des yeux gigantesques. Nous n’avons pas tout vu de la tragédie mais nos yeux ont tout absorbé. Ils se sont agrandis comme si on voyait le monde et la condition humaine en panoramique.

La trame qui sépare et relie

Vous avez parlé de l’importance de la mer. Dans La jeune femme et la mer, j’ai été frappé par le dessin pleine page qui représente un clair de lune sur la mer. C’est un dessin où la présence humaine est très profonde alors qu’aucun personnage n’est représenté.

Vous avez parfaitement raison. Vous êtes un lecteur extraordinaire. (Je garde ce compliment et en rougis encore en le retranscrivant. Une taupe qui rougit !). Quand je pense à cette image, je me revois en train de la faire. Elle est réalisée avec du fusain, de l’encre et des traits à la règle, ce que je fais rarement. Le résultat est à la fois réaliste et stylisé. La trame rappelle la trame japonaise. Elle est un clin d’œil aux mangakas japonais. J’aime beaucoup Mizuki, Tsuge. Il y a notamment chez Mizuki ce contraste entre des décors très fouillés et ses personnages caricaturaux.

Le lecteur attentif reconnaîtra quelques indigènes, le strabisme divergent de Jean-Sol Partre annonçant le strabisme politique du  » En même temps » mais pas à la fois et la pipe de Magritte.

Quand se télescopent la fin et le début

Montrer ce paysage dans lequel vous êtes totalement plongée sans qu’on vous y voie est un peu comme la naissance de la conscience. Un retour…

Je l’ai vécu davantage dans La Légèreté quand je dessinais l’océan. C’est à la fois la naissance de la conscience et le début du monde. On y voit un animal préhistorique qui vole. Après ce qui c’était passé, ma vie ressemblait à la fin du monde et là, j’ai cru voir le début du monde. Je peux paraître folle quand je raconte ça.

Non, ne vous inquiétez pas. Il m’est arrivé la même chose, c’est très banal. (rires)

La page dont vous parlez est à la fois sonore et sourde. Sonore parce que c’est la mer, sourde parce que c’est un bleu foncé qui vient l’éteindre. Cette page annonce l’arrivée du typhon que pressent la jeune femme japonaise que le lecteur peut voir comme réelle ou comme une représentation de la nature. Quelque chose arrive. Une catastrophe naturelle arrive.

Lost in transaltion

La catastrophe est à la fois derrière vous dans votre vie et devant vous dans le livre.

Je me suis rendu compte après La jeune femme et la mer  que La légèreté est un livre d’après catastrophe humaine et que La jeune femme et la mer est le livre d’avant la catastrophe qui prend la forme d’un cataclysme naturel.

Non, pas Magritte !

Le choix du troisième dessin va terriblement vous décevoir. C’est la Vierge passant l’aspirateur.

Ah, oui ! C’est Fénelon !

Je vais être très direct et très cru. Je dirai avec Magritte «  Ceci est une fellation ».

Ah non ! (rire sonore). Il faut que je le relise.

La Vierge, les Annonciations, le plein et le vide. La maternité en restant vierge. À quoi aspire la Vierge ?

C’est génial d’avoir des lecteurs comme vous. J’espère que vous enregistrez bien ce que nous disons. Pour ce que j’appelle ces sketchs et précisément celui de Fénelon, j’ai vraiment pris le texte de l’auteur. Je choisis mes passages.

Avec énormément de respect ?

Le respect s’perd

Bien sûr. Le respect dure cinq secondes. Il m’arrive de faire des petites coupures qui relèvent de la mauvaise foi. Je peux rajouter des phrases à ma sauce. J’assume tout parce que je cherche avant tout le gag. L’idée de la Vierge est venue parce que Fénelon parle d’impureté à propose de la femme. J’ai immédiatement pensé à la Vierge qui demeure pure. C’est mon cerveau de metteuse en scène qui a fonctionné sans voir tous les sous entendus possibles.

Décapage salutaire

Nous parlions de respect. Je pense que vous avez une vraie tendresse pour ces auteurs que vous tournez en dérision. Votre démarche relève de l’anti kitsch. On peut penser à L’insoutenable légèreté de l’être de Kundera. Vous balayez le vernis pour retrouver un contact direct.

Je ne sais pas si c’est ce que je cherche consciemment mais c’est ce qui se produit dans mes pages. Je ne cherche pas à faire des albums didactiques.

Mais plutôt à être vous-même.

Je n’ai pas d’intention au départ comme faire descendre ces penseurs de leur piédestal. C’est lorsqu’on me pose des questions que je réalise ce que j’ai fait.

Comte-Sponville, malgré tout

Comte-Sponville dit «  Que vaut une pensée si elle est coupée de la vie, gaie ou triste ? » ( Talpa garde cette citation et toute son estime pour Catherine Meurisse malgré sa réticence à considérer l’auteur cité comme un penseur pertinent. Mais tout se discute, et c’est le sel de la vie).

J’essaye de ramener la pensée de ces philosophes, avec ou sans jargon, à leur vie et à la mienne. C’est ce que j’avais fait dans Mes hommes de lettres, Le pont des arts.

C’est votre façon d’être, tout le temps.

Un peu tout le temps. Oui, ça je peux pas, ce…ouais ouais, oui. Oui, non, parce que…ça transpire.

Bonus

Ajoutons un quatrième dessin. Vous y êtes à poil, et de nouveau au Japon.

Je ne suis pas du tout à poil !

Retour à la dernière image de « Humaine trop Humaine ».

Ah oui, avec les singes ! J’ai d’ailleurs fait ces planches au Japon…

La conversation roule encore sur l’installation de Catherine Meurisse à l’Institut de France. Il est question de mots latins qui ornent la coupole. On peut y relever le mot « sedebit » dont la prononciation de toutes les lettres et du e en é peut prêter à confusion. Mais c’est une autre histoire. N’imaginons pas les membres de l’Institut se revendiquant «  Les cénobites tranquilles ». Ils ont l’air de bosser vraiment.