Éric Prowalski, nouvelle étoile Michelin à Annecy

Éric Prowalski, nouvelle étoile Michelin à Annecy

13 février 2021 Non Par Paul Rassat

Au fil des années s’est construite aux Trésoms d’Annecy une histoire qui repose sur un esprit d’équipe. Pierre après pierre, celle-ci a progressé et une étoile couronne désormais l’édifice.

L’étoile fait partie du parcours

Eric Prowalski — Cette année particulière rend encore plus belle cette étoile. Toute l’équipe a subi des contraintes particulières qu’elle a très bien acceptées. Ceci a renforcé le bonheur d’être ensemble. L’adaptabilité de tous, notre résilience ont permis cette reconnaissance. Comme je suis très émotif, j’en ai encore des frissons. Beaucoup de souvenirs ont émergé de nouveau et se sont combinés à une introspection que je pratique régulièrement. J’ai vécu une grosse vague, une sorte de tsunami dont je me protège le mieux possible. L’étoile est là pour douze mois. Le chemin que nous avons mis en place continue. Il est encore très long pour nos collaborateurs, pour nos clients avec lesquels nous partageons actuellement ce bonheur. Paradoxalement, c’est le bon moment. Tout le monde a adhéré parfaitement aux protocoles liés à la situation.

Se connaître pour faire équipe

Il restera donc quelque chose de cette pandémie enfin maîtrisée. Une étoile, d’abord, et puis un esprit très positif.

Tout ce que nous avons mis en place va perdurer parce que c’est devenu évident. Ça n’aurait pas été le cas il y a deux ans. Gants, sur-blouse, charlotte, désinfectant font sens pour tout le monde. Un cabinet d’audit analyse nos productions toutes les semaines et nous comptons bien garder les améliorations actuelles. Comme nos plus jeunes collaborateurs se sont adaptés facilement aux mesures prises, ils nous ont poussés à aller plus loin. Cet état d’esprit partagé a contribué à l’acquisition de cette étoile. Une multitude de petites choses y a participé. L’axe principal vient sans doute de moi, de l’histoire que j’avais envie de raconter. De l’émotion que je voulais transmettre. De ma façon d’être avec mes collaborateurs pour leur expliquer ce que je voulais. Je pensais être dans la transmission mais le premier confinement a été l’occasion de faire beaucoup d’introspection et de cibler mes défauts. La difficulté à me faire comprendre en particulier. Tout venait essentiellement de moi.

Pour transmettre, il faut d’abord se connaître.

Se connaître, s’aimer, être sûr de soi, transmettre complètement, sans s’interrompre avant que tout le chemin ne soit accompli. La pudeur, mon éducation professionnelle étaient des freins.

Question d’équilibre

Il faut se libérer de certaines pressions pour se trouver vraiment.

Depuis deux ans et demi j’effectue un travail sur moi… parce que je voulais simplement être heureux. J’ai listé ce que je savais faire mais que je n’appliquais pas. La maturité me permet de raconter désormais mon histoire. Ce que je suis. Mes assiettes sont beaucoup plus lisibles, plus épurées. Elles transcrivent des souvenirs d’enfance qui ressurgissent et se mêlent à mon épanouissement en Haute-Savoie depuis dix ans, à proximité du lac. Si ma cuisine est devenue lisible pour moi, il faut qu’elle le soit aussi pour les autres. J’ai organisé des rencontres avec mes équipes. J’ai appris à ne plus me considérer comme un capitaine mais comme un entraîneur.

Être soi

Trouver sa vraie place permet aux autres d’avoir la leur.

Ils peuvent s’épanouir, évoluer, me proposer leurs idées. Des relations vraies donnent une autre perception de la hiérarchie qui repose essentiellement sur l’expérience. Cette co-activité  fonctionne depuis l’année dernière avec toutes les équipes de cuisine, de salle, avec le sommelier. Je me connais mieux, je m’accepte, c’est ce qui permet ces interactions. De mes défauts je fais des forces.

Cette lucidité permet de progresser. Lorsqu’on entend des chefs parler d’histoire à raconter, de lisibilité, il arrive qu’on se dise « C’est une mode, du baratin. » Mais ça semble vrai !

Ce n’est pas du baratin, non ! Je faisais une cuisine que j’avais apprise, qui ne me ressemblait pas. Même si je considère que les cuisiniers ne sont pas des artistes, chacun à une histoire différente à raconter. La mienne me permet d’être un passeur de bienveillance.

Soi avec les autres

De même que revenir au produit ne relève pas du baratin pour les vrais chefs. Le produit nécessite une vraie connaissance, comme pour soi.

Ce qui nécessite de connaître la personne qui le cultive, l’élève, lui donne de l’amour. Toute la chaîne doit rester vivante, du producteur, du maraîcher ou de l’artisan jusqu’au travail que je fournis. Je préfère ne pas avoir le tout meilleur produit si j’apprécie la bienveillance qui l’a entouré, l’énergie qui lui a été apportée. Je peux alors plus facilement les retranscrire et les transmettre au consommateur. J’ai longtemps éprouvé le stress des services. Je ne le subis plus, ni mes équipes autour de moi. La façon dont les produits sont traités s’en ressent. J’en suis pleinement conscient.

Question de sens

La démarche sur la longueur  et le sens permet d’échapper à ce fameux coup de feu ponctuel qui génère du stress.

Le sens permet d’impliquer davantage les équipes. Elles me poussent vers l’avant, m’apportent des solutions. Il faut se faire confiance pour l’accorder à ses collaborateurs. Il faut se faire confiance pour raconter son histoire au-delà d’une forme de pudeur.

On rejoint la dimension très psychologique de la cuisine.

J’ai pris conscience que je ne suis pas là par hasard. Mon équipe est aussi en place depuis deux ans et demi. Nous avons construit quelque chose, acquis une confiance commune. Je suis davantage dans la compréhension que dans l’effort. Autrefois je parlais beaucoup de reconnaissance : elle se fait naturellement, je ne force rien.

Photos © Jean-Marc Favre

Trouver l’harmonie

Sans doute parce la vie personnelle et la vie professionnelle sont en harmonie.

Pour être Éric. On ne m’avait appris qu’à travailler, familialement et professionnellement. Comme beaucoup de gens, je me suis retrouvé dans la répétition de ce mode de fonctionnement. Maintenant j’équilibre le personnel et le professionnel. L’établissement des Trésoms m’y a aidé.

Il faut une véritable force pour enclencher ces changements.

Je ne m’en rends pas compte, mais je pense que oui. J’éprouvais la nécessité de changement, d’ être heureux et de transmettre cet état à mon entourage, à mes enfants, aux autres. Se rencontrer vraiment me permet de m’évader de la simple technicité, de trouver une vision en cohérence avec celle de Véronique et Pascal Droux.

S’alléger en descendant en soi

Les racines et les influences liées à la mer, au lac et à la montagne ont souvent été évoquées. Elles seront toujours présentes dans ta cuisine mais fonctionneront peut-être différemment.

Je vais me recentrer progressivement pour m’appuyer sur ma véritable personnalité et exprimer davantage de poésie, de délicatesse. Aujourd’hui, mon pigeon et mon tartare d’huître sont percutants. Je vais rechercher plus de suavité sans qu’on puisse hésiter sur l’identité de ma cuisine.

Quel enthousiasme !

Je l’ai retrouvé grâce aux changements que j’ai évoqués. La rencontre avec Stéphane Tourreau y a grandement contribué quant à l’équilibre et à l’ancrage. Le yoga et la méditation que propose l’établissement à son personnel a joué aussi. C’est devenu une pratique personnelle totalement intégrée à ma vie au même titre que mon alimentation. Je fais attention à la qualité et à la provenance du sel, des huiles, à d’autres facteurs qui contribuent à l’équilibre du corps et de l’esprit, à une meilleure gestion des émotions.

Écouter et transmettre

La recherche d’une autre étoile fait partie du parcours ?

Je ne me pose pas la question. Je suis à l’écoute des clients. C’est eux qui vont me faire avancer. Leur bien-être, leur santé et ceux de mes collaborateurs sont ma priorité. Je poursuis ma route pour ne pas me limiter à une approche technique et mieux faire partager des émotions.

Les circuits courts font sans doute partie de cette route. Les circonstances actuelles en montrent la pertinence.

Ce que nous vivons les met en exergue mais nous les vivons depuis des années. Je ne tiens pas à évoquer particulièrement le bio, par exemple, puisque qu’il règle mon alimentation personnelle depuis des années. C’est une évidence. Comme le choix de mes farines, l’utilisation de la graisse de canard. Désormais mon énergie est positive et naturelle, donc plus facile à transmettre.