Cocktail, buffet et apéritif dînatoire

Cocktail, buffet et apéritif dînatoire

17 décembre 2024 0 Par Paul Rassat

L’étymologie  de cocktail est éclairante. Le mot est un assemblage du verbe to cock, se redresser  et de tail, queue. C’est pourquoi cocktail désignait au 18 ° siècle « un homme abâtardi ». Le cocktail Molotov n’arrange pas les choses. Avant d’être un meuble fermé, le buffet a été la « Table sur laquelle sont disposés la vaisselle, le pain et le vin servi au repas ». Quant à l’apéritif qui est censé ouvrir l’appétit, s’il est dînatoire il ouvre et nourrit en même temps. Est-ce bien toujours un apéritif ? Qu’il s’agisse du cocktail, du buffet ou de l’apéritif dînatoire, l’expérience de Talpa circonscrite à la bonne ville d’Annecy relève une évolution particulière.

Glacis et kitsch

Certaines réceptions offrent encore des réalisations dont on perçoit la matière. Elles sont vivantes, parlent au palais et aux neurones, évoquent profondeur et subtilité contrastée. Ces réceptions se font de plus en plus rares. Est-ce dans un souci d’économie, de gestion ? On sert de plus en plus de choses géométriques, recouvertes d’un glacis uniforme et très coloré, fourrées de mousses diverses. Oubliées aussitôt avalées sans prendre la peine de les mâcher. La présentation prétend « sublimer », mot rabâché à l’envi, le contenu passe comme un programme politique auquel on ne croirait pas vraiment.

 L’ère du glacis pour lutter contre le réchauffement climatique et social ?

 Dans L’insoutenable légèreté de l’être Kundera donne une définition du kitsch. Il serait ces couches de vernis, de glacis accumulés qui nous coupent d’une relation directe à la réalité. Une sorte d’embourgeoisement que Roland Barthes dénonce dans Mythologies. Ce glacis asphyxiant opère aussi bien dans le domaine des idées que de La cuisine ornementale. Il est le soubassement de la bêtise. Mais comme tout est affaire d’équilibre, jusqu’où décaper ? Il est aussi le soubassement d’une absence de pensée politique qui coupe nos zélus de la réalité vraie. Ils nous demandent de « regarder la réalité en face » alors que nous sommes dedans. Est-ce une façon pour eux de s’en extraire ? Il faudrait réaliser une étude sur les relations entre politique et qualité des cocktails afin de nous reconnecter à la matière vivante.

Un peu de Marc Meneau, pour le plaisir

Stop au tout-mou.

« C’est tendre ? En deux mots, voilà réglée aujourd’hui la qualité d’un plat, la destinée d’un cuisinier ! Il y a bien longtemps, l’Homo Sapiens mangeait les viandes et les légumes crus. Les os, les arêtes, les bois de légumes abîmaient sa dentition. De la vie dans les cavernes, la bouche en devenait une. Aujourd’hui, l’écrevisse est décortiquée, le pilon de poulet remplacé par une farce, la soupe au pain devient potage ou consommé, la volaille molle prend la place de la carcasse, la cuillère remplace le pain dans la sauce, le poisson désarêté devient carré ou rectangulaire.

   Pourtant, des plats préparés en usine aux restaurants sophistiqués, les cuisiniers cherchent à enrayer cette tendance au Tout-Mou. Mou comme nos caractères, comme notre vie…

   Si la texture de nos aliments a perdu la faveur de nos palais, le goût s’est maintenu, voire, raffiné. Alors, si l’excès devient déplaisir, veillons à ce que notre cerveau ne devienne pas machine. À force de refuser une viande paraissant dure, nos éleveurs fabriqueront des animaux empaillés, les pêcheurs prélèveront en mer des purées…

  L’asperge est redevenue croquante, le filet de bœuf est accompagné d’un morceau de queue de l’animal, la noix de Saint-Jacques reste accrochée à sa coquille, le légume peu cuit alterne avec sa friture croustillante, la glace s’enrichit de décors en pâte ou en sucre. Sans punition et sans péché, croquons la Vie. » ( article publié par le journal Libération).

Wittgenstein

Déjà citée par Talpa cette phrase de Wittgenstein : « Ce que ton lecteur peut faire lui-même, laisse-le lui. » Idem pour les cocktails et la politique. Donne de la matière et non des produits, laisse mâcher les idées, croquer dans les concepts, voire recracher les programmes. Que donnera le cocktail politique en cours?