« Délicieux », un régal des sens. La Révolution par la cuisine !
16 août 202118°siècle. La cuisine est encore réservée aux nobles. Ils prennent plaisir à manger. Le peuple se nourrit, quand il le peut. L’invention du restaurant constitue une avancée culturelle et sociale importante et participe à la démocratisation. « Délicieux » est aussi une recherche qui donne à chacun sa véritable place, hors prédestination, préjugés, conditionnements divers. Éric Besnard parlera de son film avec le public des Cinéma Pathé/ Annecy le 21 août, à la suite de la projection de 19H15.
La farine joyeuse ou en guerre
Les premières images du film sont des mains qui pétrissent de la farine sur une table en bois. Beurre, œufs, lait façonnent la pâte que forme la puissance, la douceur et le rythme. La cuisine est geste. Emmanuel Renaut, triplement étoilé, évoque le plaisir et la nécessité de tailler des carottes, par exemple, afin de garder le geste. La farine est présente aussi dans les dernières images de Délicieux. Une sorte de guerre joyeuse des farines entre les deux personnages principaux tout au plaisir de l’amour et de la cuisine. Une métaphore détournée de cette véritable guerre des farines qui sévit en 1775. Pendant quelques mois se produisirent des émeutes dues aux mauvaises récoltes, à la libéralisation du prix des grains et aux disettes. Elles furent les prémices de la Révolution.
L’impossibilité d’une cuisine « nature »
Nous sommes apparemment loin de la Révolution, dans les cuisines du duc de Chamfort, en Auvergne. Grégory Gadebois / Pierre Manceron règne sur une brigade de cuisiniers. « Du travail, de l’énergie et du beurre…C’est pas le tout de faire. Il faut faire grand, généreux, faire jouir…faire vivre le goût et non le maquiller. » Mais la cuisine de l’époque est répétitive. Sans initiative. La présentation compte plus que le goût conditionné par l’humeur versatile du maître et des convives. L’Église y apporte sa censure « Tout ce qui est sous terre est ignoble. »
Entre la poire et le fromage
Massimo Montanari nous apprend le véritable sens de l’expression « Entre la poire et le fromage. Jusqu’au Moyen Âge les produits comestibles provenant de la terre étaient réservés aux gens de basse extraction, aux pauvres. Sous terre se cachent effectivement les enfers, l’impur. Les produits « aériens », en revanche, voisinaient avec le ciel d’où ils tiraient la pureté qui les destinait aux nobles, aux classes dites supérieures. Puis les nobles goutèrent au fromage, le peuple aux fruits et, entre la poire et le fromage, la société se mélangea.
Faute de goût et Révolution
Servir de la pomme de terre, un tubercule à la table du duc vaut à notre cuisinier un retour à la vraie nature. Dans le relais de poste familial éloigné de tout, on entend pourtant parler de Paris. De Beaumarchais. Délicieux n’est d’ailleurs pas dépourvu d’un esprit à la Figaro. C’est ensuite l’évocation de Mirabeau à travers laquelle souffle l’esprit de la Révolution.
Les contraintes ont du bon
Sans argent, pas de mise en scène inutile, retour à la simplicité, à la vérité des produits. Mais on joue intelligemment avec la notion de nature. Mortes, les natures semblent être de Chardin. Les portraits de Greuze. La lumière de Georges de La Tour. Dans ce tissage de liens artistiques, historiques, culturels, sociaux se rejoignent les personnages incarnés par Grégory Gadebois et Isabelle Carré. Le temps des saisons, du mijotage humain sont nécessaires à l’union de la puissance et de la maîtrise avec l’observation et la volonté. L’amour aussi est affaire de goût.
Apprendre ou rester à sa place
On croyait le peuple incapable d’apprécier la bonne cuisine et que celle-ci était affaire d’homme. Ce à quoi l’héroïne réplique « On m’a appris. Je sais apprendre. » Tout est là ! Voici la véritable révolution. Elle s’oppose au diktat « Il faut savoir rester à notre place. C’est ce qui tient le monde. » Jean-François Revel a écrit un immense livre sur la cuisine, « Un festin en paroles ». Il a aussi écrit « Seuls les bons professeurs forment de bons autodidactes. »
« Stop au Tout-Mou«
C’et le titre d’un article que Marc Meneau avait écrit pour le journal Libération. « …Mou comme nos caractères, comme notre vie…Réhabilitons la fonction de mastiquer. Manger vient du latin manducare , mâcher, mastiquer….arrêtons les mousses…Retrouvons le plaisir de gratter, croquer, sucer… » Ce qui nous amène à la maîtresse du duc de Chamfort exigeant une mousse qui vaut cette réplique « Ça vit en suçant des ducs. Ça ne veut pas mâcher. »
La Révolution par la cuisine
Tous les sens participent au festin. L’ouïe (sons, musique très juste). La vue « Un client aime voir ce qu’il va goûter, ça lui donne de l’appétit ». L’intrigue et l’Histoire se mêlent pour nous mener à la Révolution par la gastronomie. Le relais de poste devient lieu de restauration. Restaurant. L’un des premiers. Toutes les classes sociales s’y retrouvent. Révolution par la cuisine alors que le peuple crie famine. Marie-Antoinette confondra brioche et pain par la suite. Et la légende prétend que Louis XVI perdit la tête pour des pieds de cochon.
« Délicieux », un régal pour chacun et pour tous
« Le Festin de Babette » transcendait le spirituel. « Les saveurs du palais » ouvrait les coulisses de la cuisine et du pouvoir. « Délicieux » apporte par la cuisine le progrès, l’évolution de la société et une forme de démocratisation. Une touche de rousseauisme y est la bienvenue. Le retour à la nature semble être un perpétuel mouvement. Et l’ on apprend enfin que la vengeance se cuisine de bien des façons. Le petit clin d’œil à l’invention de la frite ne devrait pas ouvrir une guerre avec la Belgique.
Délicieux ? Un repas de fête où chacun peut piocher à sa convenance.