« Derborence » de Fabian Menor, album au sommet

« Derborence » de Fabian Menor, album au sommet

3 avril 2022 Non Par Paul Rassat

Derborence pose la question fondamentale de la relation au réel et à la réalité via le récit. Le livre de Fabian Menor reprend le roman  de Charles-Ferdinand Ramuz publié en 1934. Roman qui s’inspire d’un éboulement survenu aux Diablerets en 1714. (Photo © éditions Helvetiq)

Un livre « brut »

L’art de Fabian Menor met le lecteur en relation directe avec les forces de la nature, les contraintes qui conditionnent la vie et la survie en montagne. Rien de superflu. Le dessin est dépourvu de tout effet inutile. Il va à l’essentiel et nous plonge sans filtre esthétique au cœur de l’époque, de la montagne, des mentalités. Croyances, superstitions, irrationalité, entraide. Il s’agit de vivre, de donner la vie et de mourir. La communauté, l’entraide y sont indispensables.

Un monde en miroir

L’espace, les bruits de la nature, le silence, la privation, le vide, l’ennui modèlent la pensée. De celle-ci s’évade l’imagination qu’alimente l’irrationnel. Les superstitions donnent naissance aux diables de la montagne. Notre époque est-elle plus rationnelle, raisonnable ? Nous vivons de superstitions, de croyances alimentées par le bruit assourdissant des médias, des réseaux sociaux. Nous recréons en permanence ce qui nous est hostile en nous éloignant de la nature, pensant l’avoir domestiquée.

Contextualisation

Outre l’intérêt graphique, celui du récit, un tel livre est important. Replongeons-nous dans une nouvelle de Jorge Luis Borges Pierre Ménard, auteur du Quichotte in Fictions. Ménard recopiant mot pour mot des chapitres du Quichotte au début du 20° siècle fait œuvre de création ! Bien sûr, le propos de Borgès confine à l’absurde. Il pose cependant la question de la lecture comme création. Écrire le Quichotte au 17° ou au 20° siècle modifie tout. L’époque a changé, le contexte historique, culturel, social, politique…Et ainsi, chaque lecture est une nouvelle création contextualisée. Jouer Molière aujourd’hui n’a pas la même signification qu’au 17° siècle.

Le livre graphique de Fabian Menor illustre parfaitement cet enjeu. Il nous donne une lecture décalée de notre monde en relation avec des faits et une histoire du 17° siècle.  Ce double regard enrichit notablement la lecture, créant une sorte de dépassement, bien au-delà du factuel.

Au-delà

Cette question de la contextualisation est essentielle. Elle se pose, par exemple, pour la lecture des Livres Sacrés. Soumission littérale ? Interprétation ? Théâtre, peinture, littérature n’échappent pas à ce questionnement dont dépend notre relation au monde.