Dessins de Kevin Lucbert : onirisme poésie et profondeur
28 septembre 2021Kevin Lucbert expose ses dessins du 24 septembre au 20 novembre 2021 à la médiathèque de Bonlieu/Annecy. Visite de l’exposition LUCID DREAMS avec l’artiste. Les rêves éveillés, la réalité, la profondeur des images.
Monochrome, couleur se rejoignent dans l’onirisme
Il y aurait plusieurs façons d’entrer dans votre exposition. Pourquoi ne pas commencer par ce jongleur ?
C’est un archétype. Il jongle avec ses masques, de multiples personnalités, un égrégore…
On pourrait aussi penser au film Le roi des masques.
C’est aussi la figure du Jocker.
On retrouve là votre inspiration liée à Jung, aux rêves, à la psy. Vous la déclinez en couleurs et en monochrome d’un bleu profond et onirique.
Le choix du monochrome ou de la couleur se fait au feeling. J’ai des idées bleues et des idées en couleurs. Deux séries dont l’une commencée en 2012. L’humour, le lien avec le dessin animé empruntent la voie de la couleur.
Dépasser les oppositions apparentes
Vos œuvres sont des invitations à dépasser des notions habituellement opposées, des formes géométriques, mathématiques associées à des courbes, par exemple. Dans une profusion qui dépasse chacune des parties.
J’ai toujours envie de lier deux mondes. L’un est géométrique, en perspective, assez froid, l’autre, débordant vient en confrontation. Graphiquement, cela s’exprime par un jeu sur les trames et les formes. À l’origine j’ai beaucoup fait de dessins de perspectives. Mon dossier pour les Arts Déco présentait des dessins en perspective.
Le jeu avec la perspective et la réalité
Vous trichez un peu avec elle ?
J’ai d’ailleurs eu un prof qui m’apprenait à tricher. J’utilise aussi la perspective cavalière. Toutes les droites y sont parallèles, sans point de fuite. Le résultat est contemporain et étrange en même temps.
Vous jouez avec la réalité pour rejoindre le rêve.
Je projette une réalité dans une étrangeté inquiétante, amusante.
L’art de la conversation avec soi-même
Certains de vos tableaux sont nommés Méditation. On peut y voir une conversation psychanalytique, un dédoublement.
J’aborde cette idée dans la fresque que j’ai réalisée au Musée Château d’Annecy. Jung a pointé ces conversations que l’on peut avoir avec soi-même, nos différentes personnalités, voire les oppositions d’idées dans un même psychisme. J’aborde graphiquement ce thème comme une partie de cache-cache. C’est comme jouer au chat et à la souris avec soi-même. Une idée doit advenir, le moi conscient n’est pas capable de l’exprimer parce qu’il est trop contrôlant. Il a besoin de l’inconscient pour amener une idée artistique. D’où ce jeu de cache-cache entre des croquis que je vais faire de façon spontanée, sans réfléchir à ce que je fais. Je peux d’ailleurs prendre un virage en cours d’exécution pour emmener ça ailleurs. Je décide rarement dès le début. La réalisation s’effectue dans une dialectique entre le conscient et l’inconscient.
L’équilibriste entre les deux facettes d’une réalité complexe
Comment trouver le bon équilibre, le cap à prendre ou à dévier ?
Surtout par la surprise. Si je ne suis pas surpris par le résultat du dessin, c’est que ça ne marche pas. C’est comme en musique quand ça sonne. Il y faut de l’énergie, un équilibre de funambule, le momentum fixé sur la feuille. Un trait peut être maladroit mais sonner juste. Je le préfère à quelque chose décidé dès le début.
Vous parliez d’archétypes. Certains de vos personnages évoquent l’univers du conte. Parfois votre travail fait penser à Escher, avec le jeu sur la perspective, les formes de poissons aériens.
Escher a créé des motifs géométriques hallucinants et les projeter dans l’impossible. Il les fait surgir en trois dimensions. Il y a aussi chez lui ce jeu des trames. Même si c’est un travail de longue haleine, il comporte quelque chose de méditatif que j’aime bien.
Symbolisme ouvert à tous
Est-ce que chez vous les murs sont blancs, dépourvus de motifs ?
Il n’y a presque rien sur les murs.
Je parlais de contes. Il y a une veine très symbolique dans vos dessins.
Mais elle n’est pas si hermétique. Pour cette image d’œil en flammes, la démarche a été tellement spontanée. Il faudrait en demander la signification à l’inconscient. La dimension sacrée me semble évidente. Une forme de conscience intérieure qui, comme sur la fresque que j’ai réalisée au Musée Château est une illumination. L’œil en est la porte d’entrée.
Harmonieuse fusion
Tous les éléments que vous représentez sont en fusion permanente.
Avec l’idée d’un décor artificiel dans lequel la porte est une entrée…
Vers le rêve, la poésie. C’est l’image d’un passage.
Même s’il y a ésotérisme, il faut que ça sonne, que ça se « ressente bien ». On ne doit pas avoir besoin de faire intervenir une connaissance spécifique. Ma fille de 4ans ½ me donne son avis. Elle voit des ciels étoilés qu’elle aime beaucoup, comme tout ce qui la renvoie aux contes.
On peut faire de vos œuvres une lecture qui va au-delà de la surface des choses alors que le monde actuel nous y circonscrit. On est loin de la réactivité imposée et les enfants peuvent y trouver matière à contemplation, à réflexion. La porte leur est ouverte.
Les enfants sont comme ceux qui dans Les ailes du désir peuvent voir les anges. Si on leur dit « Il était une fois », ils sont pratiquement dans un état d’hypnose. Nous sommes des êtres d’histoires. Nous avons ça dans nos veines. Avec mes dessins, je me projette dans un monde fait d’histoires, de contes, de rapports symboliques.
Une histoire parmi les histoires…
Puisque vous parlez d’histoire, un enchaînement s’impose dans la disposition de vos dessins ?
Un accrochage comme celui-ci nécessite surtout de gérer le rythme d’enchaînement des images. Je dois éviter les redondances de formes. Un « chemin de fer » me permet de voir l’ensemble, qui crée une histoire. On part avec ce dessin en haut à gauche qui emmène le spectateur.
Vous exposez dans une médiathèque, au milieu des livres…et des histoires.
D’où le choix de placer parmi les dessins celui-ci, intitulé Open Book.