Donna Leon «  Les masques éphémères »

Donna Leon «  Les masques éphémères »

4 novembre 2022 Non Par Paul Rassat

Les masques éphémères de Donna Leon évoquent bien sûr ceux du carnaval. À ce propos, Gilles Bertrand écrit «  …quoi qu’on en dise, un certain carnaval continue de se couler dans le moule des ruelles et de s’adapter à la forme de la ville. Celle-ci, pour le meilleur et pour le pire, se laisse habiter par les métamorphoses que l’économie du tourisme fait aujourd’hui subir au carnaval. »

Le carnaval à plein temps

Le carnaval se caractérise par toutes sortes d’excès qui précèdent le carême. Défilés, masques, débordements sexuels, alimentaires, inversion des valeurs, des positions sociales animent les jours de carnaval. Or notre société occidentale dans son ensemble devient une sorte de carnaval permanent. L’appel très symbolique aux « valeurs » y serait une tentative pour retrouver un ancrage abandonné depuis longtemps.

L’envers du décor

Donna Leon, de roman en roman, continue le défilé dans les entrepôts, dans les coulisses, dans « l’envers du décor. » Venise n’y est pas en sérénissime représentation. S’y mêlent les Vénitiens, les Italiens, les étrangers. Les statuts et les fonctions : touristes, habitants, policiers, politiques, officiels et sans papiers. Pêcheurs de palourdes, vendeurs à la sauvette africains, militaires étrangers, travesti se mêlent ici ou là aux amateurs d’opéra, les roturiers aux nobles, le fait divers à l’Histoire. Tout passe éventuellement  par «  les eaux saumâtres d’un canal ». Il arrive qu’un paquebot de croisière vienne fendre les eaux de Venise et le récit. Un bateau obscène qui ajoute du spectacle au spectacle mais en  encourageant le voyeurisme.

La carte et le territoire

Pour Alfred Korzybski Une carte n’est pas le territoire. Il y écrit « Les mots ne sont pas les choses qu’ils représentent…Les mots ne peuvent pas couvrir tout ce qu’ils représentent…» Donna Leon fait de la suite de ses romans une tentative pour contredire Alfred Korbyski. Ses mots, ses intrigues forment un feuilletage qui glisse dans et sur les canaux. Dans les palais et dans les eaux saumâtres. Du cœur historique aux abattoirs. Venise apparaît, de palais en bicoques, comme le théâtre et le décor, les murs et le film pénétrés d’Histoire, d’histoires que relient l’eau et le temps. Les mots, italiens, étrangers, dialectaux, avec tel ou tel accent forment un maillage semblable à celui des canaux qui irriguent Venise. Les masques éphémères s’accrochent à la vie comme la ville elle-même dont la disparition est pourtant annoncée.