Du coup. Quel coup?
24 octobre 2021Dans la cuisine communicationnelle actuelle, l’expression « du coup » est mise à toutes les sauces. Elle perd la plupart du temps son sens causal et devient une construction explétive, c’est-à dire vide de sens mais qui fait lien. Il faut bien lier la sauce. Un du coup par-ci, un du coup par-là et ça roule. Dans Je parle comme je suis ( Ce que nos mots disent de nous) Julie Neveux souligne que cet emploi de du coup est dénoncé par les Académiciens, qui vu le grand âge de la plupart, semblent avoir des difficultés à tirer encore le leur dans les canons de l’orthodoxie.
La question c’est quoi avec du coup ?
Les Académiciens ne semblent plus être dans le coup. La question n’est plus de respecter quoi que ce soit mais de rester dans le flow. Il faut vivre à flux tendu. Notre modèle industriel et commercial déteint sur l’ensemble de la société et de ses comportements. Nous devons être branchés, rester branchés. Du coup, nous adoptons une langue au kilomètre. Peu importe ce que nous disons, il faut tenir le crachoir, occuper l’antenne. Notre vie est devenue un commentaire sur notre vie, sur la vie que nous n’avons pas, sur la vie que nous aimerions avoir.
Rester dans le mouvement
Le mouvement prime en tous domaines. Les personnes interviewées ou wievantes sont souvent en mouvement, au moins pendant une partie de l’entretien. Ça donne du mouvement à la pensée, façon péripatéticiens, philosophes de l’antiquité qui enseignaient en marchant. Sans doute pour faire le tour des questions qu’ils abordaient. Les mains de celui ou celle qui parle se doivent d’être en mouvement elles aussi. Et la voix doit surligner le propos qui pourrait sinon manquer de sel.
L’érotique du mouvement
Ah ! ces défilés de mode au long cours desquels se succèdent des modèles, top et portés en une noria incessante de jambes interminables ! Le mouvement des corps surligné par le mouvement de la musique ! Et puis cette nouvelle érotique gastronomique. L’émission « Objectif Top Chef » n’en est pas avare. On y entend « Je viens mettre des suprêmes de pêche…Du coup, je vais faire chauffer…Je viens le passer au chinois…Je viens rajouter de la gélatine…Le chef viendra prendre la sauce… » Il ne s’agit pas ici de moquer les jeunes candidats dont le vocabulaire s’inscrit dans l’air du temps. Du coup ils reflètent cet incessant mouvement. « Je viens, je viens, je viens… » en un orgasme culinaire à flux tendu. Parce qu’il leur faut sortir de leur zone de confort, parce qu’ils n’ont pas droit à l’erreur.
Syntaxe, priez pour nous !
Vous arrive-t-il d’écouter un commentaire de football à la télévision ? Avez-vous remarqué l’enchaînement des phrases ? « Machin, qui passe à Truc…qui dribble, qui est contré mais qui récupère le ballon, qui passe à chose qui tire… » Amusez-vous à enseigner les propositions principales et les propositions subordonnées après cette démonstration. La phrase, infiniment longue, à flux tendu, n’est composée que de propositions subordonnées relatives commençant par qui. Rien n’est principal dans le discours, sinon le discours lui-même. Le principal est de garder la parole. « Du coup » joue aussi ce rôle. Du coup, vous avez les chaînes d’info au kilomètre elles aussi.
Mouvement et confusion
Du coup on mélange les constructions pour en arriver à dire, comme Valérie Pécresse « Parlons aux Français de ce dont ils ont envie d’entendre. » Valérie connaît sa langue française, mais le parler au kilomètre finit par l’emporter. Celui-ci contrebalance le sempiternel « Ce que j’ai besoin. » Dans la pensée au kilomètre « Le tube, c’est vous » ( Roger-Pol Droit). Confusion encore lorsque « À la base » prend une connotation temporelle et « Derrière » un sens spatial. Là, on est vraiment perdu dans un espace temps qui, du coup, nous met dans le tube. Non ?
Après coup
Après coup, cette histoire de tube nous amène tout naturellement au mouvement perpétuel. NTM ! Nique ta mère ! On nous l’a chanté sur tous les tons, envoyé à la figure comme une éjaculation d’invective. « Retourne de là où tu viens », en somme, pour entretenir le mouvement et la confusion. On notera avec amusement que le groupe NTM s’appelle aussi Suprême-NTM alors que le suprême de poulet ne semble pas être son plat favori…