L’Éditaupe #3 — Confinement

L’Éditaupe #3 — Confinement

9 décembre 2020 Non Par Paul Rassat

Dialogues de taupes

— Le télétravail ?
— Creuser à distance, de chez soi.
— Donc tu creuses une autre galerie à partir de ta galerie et à distance ?
— Ce qui permet de se retrouver en présenciel avec soi-même.
— C’est bon pour l’introspection.
— Creuser sa personnalité.

— Des galeries à ciel ouvert ?
— Oui, ils appelaient ça des tranchées.
— Ça servait à quoi ?
— À s’entre-tuer.
— Pour quelle raison ?
— On ne sait pas trop. La convoitise de terres.
— Rien ne vaut une galerie fermée !


Les limites du confinement

Dans Étymologies pour survivre au chaos, Andrea Marcolongo voit dans le terme confins autant ce qui rapproche que ce qui sépare. En latin confinis signifie « qui confine, à proximité ». De finis, borne, limite, seuil et but. Au Moyen Âge seulement le mot se referme sur la seule notion de frontière.

Confins

Finalement, au final, le confinement devient enfermement. Le Finistère, finis terrae, fin des terres, est aussi bien la fin d’un continent que le début de l’aventure. C’est pour une question de confins que Romulus tue son frère Remus lors de la fondation de Rome.

Andrea Marcolongo souligne que portes et fenêtres limitent autant qu’elles ouvrent sur le monde.

Le Janus romain était bifrons aussi bien le dieu des commencements que celui des fins, le dieu du passage des portes. Ses deux visages représentaient cette dualité. Deux visages, deux fronts, deux frontières. De quoi affronter doublement le monde.

Les limites viennent, elles, du limes romain (prononcer limès), sentier, séparation et frontière puisque le limes devint un mur censé protéger l’empire. Il était cousin de la Grande Muraille de Chine. Le livre lui aussi joue avec les frontières puisque son nom vient du liber latin, cette partie de l’écorce — la peau vivante — sur laquelle on écrivait. Ouvrir un livre, quel plaisir ! Encore plus en période de confinement sanitaire, météorologique ou autre.

Fenêtre sur le monde du dehors
Le monde du dehors © Christophe Rassat

Confinement conscient ou non

Subi, le confinement est vécu comme une privation de liberté. Il est physiquement pesant et plombe le moral. Il n’est cependant que la partie émergée de l’iceberg. Nous ne sommes apparemment confinés que dans les cages dont nous avons conscience. Beaucoup vivent ainsi leurs vacances comme une évasion alors qu’elles constituent une maigre consolation à la cage quotidienne. L’écart entre réel et ressenti fait passer la pilule.

Liminaire et cloisonné

Le mois de juillet 2018 a vu fleurir « l’affaire Benalla ». La commission parlementaire sur ce Benallagate dont les séances furent retransmises par les médias aura au moins eu un mérite : rappeler ou apprendre l’existence de l’adjectif qualificatif « liminaire ». Combien de fois aurons-nous entendu les personnes auditionnées annoncer une déclaration « liminaire » !

À y regarder de près, liminaire voisine avec « limes ». Le sens de « propos liminaire » s’éclaire alors. Les auditionnés se murent justement dans leurs propos liminaires afin de ne pas déborder d’un fonctionnement administratif et verser dans l’expression d’une expression personnelle donc vivante. Ce qui aurait pu être lumineux et nous éclairer est demeuré liminaire. Nous sommes demeurés sur le seuil et sur notre faim. D’où rumeurs et supputations, à l’image de ce vers de Beaumarchais :

Le mur murant Paris rend Paris murmurant.

Préliminaires et déconfinement

L’involution de la langue fait que nous sommes soit « dans un monde où… », soit « face à un mur, un problème ». Nous ne connaissons plus que deux positions. Nous sommes soit déjà à l’intérieur, soit face à, et non « devant », sur le seuil. Les préliminaires censés apporter du plaisir et préparer agréablement au franchissement du plus intime ne sont pas évoqués. On leur préfère une approche militaire.

Confinement et symbolisme

La première écographie de l'Histoire
La première écographie de l’Histoire © Anne le Bellec

Confinée sous terre, la taupe est liée à la mort mais elle permettrait de guérir certaines maladies. Elle guide l’âme à travers les labyrinthes souterrains et nous amène jusqu’au Minotaure par tous ces détours symboliques.

Mi-homme, mi-taureau, ce monstre vit enfermé dans le labyrinthe conçu par Dédale. Grâce au fil d’Ariane, Thésée peut passer du côté humain à la dimension du monstre et re-de-venir humain. Nos deux récents confinements sanitaires montrent que certains hommes sont des Minotaures se livrant à l’inceste ou à des violences de tous ordres.

Mûrs pour la batterie ?

Violence que l’on fait également subir à des milliers de vaches rassemblées dans une structure qui n’a de ferme que le nom. Des poulets parqués chacun sur la surface d’une feuille de papier A4 et dans leurs fientes. Des barres de HLM, des cités, des « quartiers » offrant pratiquement les mêmes conditions de vie. Des villes surpeuplées parce que la concentration facilite, renforce et rentabilise les circuits commerciaux.

La batterie est à la fois l’action de battre et le bruit qui en résulte. Villes, cités, quartiers deviennent des batteries cacophoniques, au son des matraques.

Petites boîtes très étroites
Petites boîtes faites en ticky-tacky
Petites boîtes, petites boîtes
Petites boîtes toutes pareilles…

Paroles de Graeme Allright

À l’opposé de l’élevage en batterie, le bœuf de Kobé est massé, bercé de Mozart. Les expériences de John B. Calhoun montrent l’impact de la surpopulation et de la concentration sur les populations animales. Elles produisent du stress, de la violence, un bouleversement social radical. Il en va de même pour les populations humaines.

Enfermé dans une pensée

« La langue de l’Europe, c’est la traduction. » écrivait Umberto Eco. À l’opposé, pendant longtemps a sévi une autre formule «Traduttore traditore ». Traduire, c’est trahir.

Ce qui, dans l’apparente inamovibilité des textes de foi donne l’extrémisme religieux et les conséquences que l’on sait. Ainsi que les ancrages nationalistes et régionalistes perçus non comme des points de départ et d’ouverture mais comme des couvertures de repli. On pense désormais que la traduction est un double enrichissement, qui ouvre la langue de départ ainsi que celle de destination.

Réduire une langue à un outil de communication lié à la science, à l’économie, aux affaires, c’est oublier que l’organisation de chaque langue est l’expression d’une vision particulière de la réalité, une ouverture.