Le travail #1 : Sens, valeur, étymologie

Le travail #1 : Sens, valeur, étymologie

1 mars 2021 Non Par Paul Rassat

La valeur travail

Étymologie

  Référons-nous à l’étymologie pour comprendre ce que peut bien signifier cette expression qui finit par relever du cliché.

« Valeur »

Le TLF dictionnaire en ligne attribue de nombreux sens à ce mot :

  1. Prix correspondant à l’estimation d’un objet.
  2. Evaluation d’une chose en fonction de son utilité sociale, de la quantité de travail nécessaire à sa production, du rapport de l’offre et de la demande…
  3. Valeur d’une monnaie. Titre négociable en bourse.
  4. Qualité… d’une personne qui la rend digne d’estime…

Alors, de quelle valeur parle-t-on lorsqu’on invoque « la valeur travail ? » Il est d’autant plus difficile d’y répondre que le mot « valeur » est polysémique et qu’il peut même désigner l’argent, ce qui réduirait le travail à l’argent qu’il représente et comme l’argent n’a pas d’odeur, le travail non plus. Reste, pour être précis, à étudier le mot travail de plus près.

Champ lexical

   Autrefois on exerçait un métier. Le terme apparu vers 1050 voisinait étymologiquement avec le ministère sacré, la célébration de rites. Dieu que les métiers étaient nobles alors et participaient à la révélation de soi !

   Vint ensuite le mot profession, apparu en 1362. Profero, en latin, signifie « déclarer publiquement ». Ce qui implique que l’on était fier de son travail et que cela permettait d’éviter les mauvaises blagues du type «  Ne dites pas à ma mère que je travaille dans la publicité, elle me croit pianiste dans un bordel. » ( voir le livre de Brygo et Cyran, « Boulots de merde« ).

   Le travail naquit en 1600, signifiant « activité professionnelle quotidienne nécessaire à la subsistance. Travailler pour vivre, travailler aussi pour donner la vie dans les douleurs de l’accouchement qui est le premier sens du mot travail. Sans doute pour cette raison que le marché du travail se contracte parfois violemment. On notera au passage l’adjectif « quotidienne » montrant le statut journalier du travailleur.

L’emploi apparut à la même époque. Il chosifie la personne qui travaille puisqu’il désigne l’utilisation, le fait d’user de…    

Le turbin né en 1821 voisine avec le boulot qui date de 1881 en ceci qu’ils sont tous deux des gagne-pain permettant tout juste de manger. Le turbin qualifie la prostitution, les travailleurs du sexe, alors que boulot renvoie soit à boulotter, manger voracement, soit à bouleau, action/bagarre.

Reste le job, affaire puis emploi rémunéré. On entend dire « On a fait le job, on a fait le travail » dans tous les sens, « on a terminé un chantier » aussi bien que «  on a tué les ennemis, détruit la ville… »

C’est pourquoi il arrive que le travail devienne une mission coupée de toute continuité et même de tout sens.

Il est aussi possible de « faire le taf » ; or le sens de ce mot est tout d’abord la peur, la frousse, la pétoche. Avoir le taf, c’est avoir la trouille, avoir les foies…ou bien sa part de butin, obtenir le fric qui confond l’activité et son résultat.

Le pied au travail

   Pour celles et ceux qui s’éclatent au travail, il est bon de savoir que « prendre son taf », c’est prendre son pied…ce qui nous renvoie étrangement à l’origine étymologique et anatomique du taf, une onomatopée « taf évoquant le bruit des fesses qui s’entrechoquent sous l’effet de la peur. » (dictionnaire TLF en ligne).

    Accouchement, labour et travail de la terre par l’intermédiaire du labeur, torture puisque le « tripalium » latin participait aux séances récréatives auxquelles les bourreaux se livraient, culte, trouille, sexe, nourriture et subsistance, autant de domaines sémantiques que couvre tout le champ du travail.

La valeur du travail

   La valeur travail en devient-elle plus claire ? N’entrons pas dans les débats sur le travail des robots, qui pourraient nous entraîner vers des abîmes philosophiques. Mais il est cependant impossible de faire l’économie de cette réflexion qui mène aux termes de « rétribution, paie, rémunération, appointements, traitement, émoluments, honoraires, solde, cachet, vacations, commission, prime, indemnité, jeton de présence, pourboire, gages, guelte, gratification… » Le langage montre bien notre relation au monde. Les Inuits possèderaient plusieurs dizaines de mots pour désigner les différentes qualités de neige ou de glace qui composent leur univers physique et mental, d’une cinquantaine à plus de quatre-vingt-dix, paraît-il. Leur survie en dépend. Nous en possédons pas mal pour désigner à la fois les activités qui procurent un revenu et le revenu lui-même, d’où la difficulté de s’y reconnaître.

   Sonnante et trébuchante, morale, sociale, formatrice, libératrice …quel travail pour en comprendre la portée! Terminons par une curiosité. La solde des militaires vient du latin salis, le sel, car les Romains payaient leurs troupes pour partie en monnaie et pour partie en sel, indispensable à la vie. Ainsi, étymologiquement, la solde est de la même famille lexicale que le salaire, le sel, la salade, le saladier, le saucisson, le salpêtre…saupoudrer qui signifie « poudrer de sel ». Alors qu’on sucre les fraises.

Nous étions partis de la valeur travail pour en arriver au saucisson : quelle salade !

Dialogue de taupes

— Il paraît que pendant qu’on creuse, y’en a qui s’en mettent plein les poches.

— Pourquoi se mettre de la terre plein les poches alors qu’on cherche à l’évacuer ?

—  La terre qu’on creuse, ils doivent s’arranger pour  la transformer en autre chose.