Et plus si affinités

  Et plus si affinités

15 mars 2024 Non Par Paul Rassat

Conversation avec Olivier Ducray scénariste du film Et plus si affinités.

Votre film m’a beaucoup touché.

J’en suis ravi.

C’est le cas, mais vous jouez  de la polysémie, du champ lexical et sémantique. Vous prenez le verbe toucher dans plusieurs acceptions. D’une certaine façon, ce film incarne la langue.

J’adore ça, je passe beaucoup de temps à écrire. Il faut aussi rendre hommage au film espagnol Sentimental dont nous avons tiré un remake. Nous nous en sommes beaucoup écartés lors de l’écriture avec Wilfried et Jean-Paul Bathany qui est notre co-scénariste. Nous avions carte blanche. Puisque le film est un huis clos, le texte et le jeu vont être très mis en avant. Nous avons mis beaucoup de soin à travailler les dialogues à la fois lors de l’écriture et ensuite en lecture avec les comédiens pour les mettre à leur bouche. Notre budget, le huis clos ont entraîné des contraintes bénéfiques. Nous avons tourné en vingt-et-un jours seulement, dans le décor reconstitué d’un très grand appartement.

Ces contraintes ont participé à la réussite du rythme qui porte le film.

Absolument. Il ne faut pas qu’on s’ennuye, il faut avancer, qu’il y ait des relances. D’où le travail du texte, jusqu’au nombre de pieds des phrases que fait vivre un quatuor de comédiens extraordinaire. Le montage est la troisième étape qui contribue à travailler le rythme. Il permet de créer des moments de silence, de gêne, des accélérations.

Avec le dit, le non dit, le suggéré, les sous entendus, les regards, le décalage mots / regards… Est-ce que vous connaissez cette blague ? Trois vieux messieurs se demandent quand commence vraiment la vie. Le premier affirme que c’est au moment de la procréation, le deuxième à la naissance, le troisième assène : « La vie commence quand les enfants sont partis et quand le chien est mort ! »

Je ne connaissais pas mais c’est génial. Notre film est un peu ça. Le chien n’était pas dans le film original. Il est symbolique d’une page qui se tourne. Xavier va pouvoir arrêter de regarder ses pieds et son chien et regarder de nouveau sa femme.

Votre personnage est musicien et compositeur. Dans la vie, il faut savoir composer avec les autres, ce qu’il ne sait plus faire. Il retrouve ce talent à la fin.

C’est ça. Il ne sait plus composer ni la musique, ni dans ses relations sociales et de couple. Il retrouve cet élan. Symboliquement quelque chose s’est débloqué grâce au passage par une belle tempête. C’est ce qui fait cette comédie qui se termine sur une émotion partagée. Nous voulions apporter cette note d’espoir qui ne figure pas dans le film original.

On se demande quelle va être la fin. Votre film est porté par le son : grincements, bruits, silence, musique, harmonie retrouvée. On peut, de très loin, y entendre un écho de Delicatessen.

Nous avons travaillé avec Vincent Cosson ,un mixeur de renom qui a contribué à cette harmonisation. Nous avons assez peu de musique, par choix. On se rend compte qu’elle est là quand elle revient parce qu’elle n’est pas omniprésente.

La musique est faite de vos dialogues et du rythme. Le personnage incarné par Isabelle Carré se plaint que son mari ne la touche plus, à tous les sens du terme. Me too est très présent actuellement, on évoque beaucoup la notion de consentement ; il y a là aussi un écho, une résonance.

On ne nous en parle pas souvent. Nous n’y avions pas vraiment réfléchi…

Ce n’est pas un engagement…

… néanmoins les qualités d’Isabelle et de Julia leur permettaient d’aborder ces sujets sans que rien ne soit connoté négativement par raport à notre époque. Leur élégance, leur finesse et leur grâce permettent d’éviter tout côté piégeux, même si Julia Faure incarne un personnage libertin. S’il y a un propos en écho avec notre époque, c’est qu’on va s’interdire de s’interdire. Les abus, ce que l’on découvre et déplore à juste titre aujourd’hui ne doivent pas interdire de parler de sexualité, du plaisir féminin. Alors que nous sommes trois garçons à avoir écrit le film, la part belle est faite plutôt aux personnages féminins. Elles ne subissent pas, ou bien refusent de continuer à subir. Nous parlons de sexualité de manière moderne, je l’espère.

Le fait qu’il n’y ait pas de message ouvertement engagé rend le propos plus intéressant et profond. Chacun peut  le recevoir à sa façon.

Il est important que le spectateur y voie du sens, une forme de profondeur qui apparaît en filigrane et que porte l’émotion. Mais il est tout aussi important que ce ne soit pas martelé et que ça transparaisse progressivement.

Les plus âgés y verront une référence moderne et amusante aux films de Bergman.

Cette référence me convient ; on nous interroge habituellement sur Bacri, Le prénom. Scènes de la vie conjugale est cependant d’une incroyable subtilité. Le clin d’œil à Bergman que vous évoquez est bienvenu.

La profession de votre comportementaliste pour animaux fait un peu sourire au début. Mais c’est grâce à elle que sont réconciliés le corps, l’esprit et le cœur.

J’ai grandi avec des animaux, des chiens dont un Labrador. La scène de la buanderie avec Xavier qui se confie à son chien, je l’ai vécue alors que j’étais petit. Si vous êtes capable d’aller déceler quelque chose dans un animal, vous y arriverez a fortiori chez un humain qui peut mettre des mots sur ce qu’il ressent. Le personnage de Julia était venu chercher quelque chose qu’elle n’obtient pas ; elle peut cependant réparer.

Différence intéressante entre demander réparation et apporter réparation.Le film est « jubilatoire ».