Les pauvres

Les pauvres

14 mars 2024 Non Par Paul Rassat

Quelques extraits du texte de J.K Galbraith  L’art d’ignorer les pauvres  illustreront à la perfection notre réflexion « Pauvres et riches ont toujours vécu côte à côte, toujours inconfortablement, parfois de manière périlleuse. Plutarque affirmait que « le déséquilibre entre les riches et les pauvres est la plus ancienne et la plus fatale des maladies des républiques ». Les problèmes résultant de cette coexistence, et particulièrement celui de la justification de la bonne fortune de quelques-uns face à la mauvaise fortune des autres, sont une préoccupation intellectuelle de tous les temps. Ils continuent de l’être aujourd’hui.

Religion et pauvreté

Il faut commencer par la solution proposée par la Bible : les pauvres souffrent en ce bas monde, mais ils seront magnifiquement récompensés dans l’autre. Cette solution admirable permet aux riches de jouir de leur richesse tout en enviant les pauvres pour leur félicité dans l’au-delà.

Inégalité partagée

Bien plus tard, dans les vingt ou trente années qui suivirent la publication, en 1776, des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations – à l’aube de la révolution industrielle en Angleterre –, le problème et sa solution commencèrent à prendre leur forme moderne. Un quasi-contemporain d’Adam Smith, Jeremy Bentham (1748-1832), inventa une formule qui eut une influence extraordinaire sur la pensée britannique et aussi, dans une certaine mesure, sur la pensée américaine pendant cinquante ans : l’utilitarisme. « Par principe d’utilité, écrivit Bentham en 1789, il faut entendre le principe qui approuve ou désapprouve quelque action que ce soit en fonction de sa tendance à augmenter ou diminuer le bonheur de la partie dont l’intérêt est en jeu. »  

La vertu (devenue valeur aujourd’hui)   

La vertu est, et même doit être, autocentrée. Le problème social de la coexistence d’un petit nombre de riches et d’un grand nombre de pauvres était réglé dès lors que l’on parvenait « au plus grand bien pour le plus grand nombre ». La société faisait de son mieux pour le maximum de personnes, et il fallait accepter que le résultat soit malheureusement très déplaisant à l’encontre de ceux, très nombreux, pour lesquels le bonheur n’était pas au rendez-vous.

Le darwinisme détourné

Au milieu du XIXe siècle, une autre forme de déni connut un grand succès, particulièrement aux États-Unis : le « darwinisme social » … L’élimination des pauvres est le moyen utilisé par la nature pour améliorer la race. La qualité de la famille humaine sort renforcée de la disparition des faibles et des déshérités….

Donc, en prenant l’argent des pauvres et en le donnant aux riches, nous stimulons l’effort et, partant, l’économie…

Qui sont les assistés ?

 On entend beaucoup parler des atteintes à la liberté des plus aisés quand leurs revenus sont diminués par les impôts, mais on n’entend jamais parler de l’extraordinaire augmentation de la liberté des pauvres quand ils ont un peu d’argent à dépenser. Les limitations qu’impose la fiscalité à la liberté des riches sont néanmoins bien peu de chose en regard du surcroît de liberté apporté aux pauvres quand on leur fournit un revenu…. »

RSA

Le texte de J. K Galbraith a été publié en 1985. Il date, pourront objecter quelques penseurs de la droite décomplexée.

Soit ! Mais un numéro du Monde datant d’octobre 2017  avance « Si les allocataires du RSA étaient vraiment les profiteurs que décrivent les discours sur l’assistanat, ils vivraient en outre leur oisiveté avec légèreté-ce qui n’est pas le cas. »  « Les études montrent qu’il y a une immense souffrance et un énorme déni de dignité à vivre des minima sociaux » souligne Axelle Brodiez-Dolino. «  La pauvreté est une source de stigmatisation et d’isolement extraordinaire : on survit plus qu’on ne vit. »….

Enfumage

Patrick Savidan va plus loin. « Les vrais assistés ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Si l’on mesurait la part des budgets publics qui va aux pauvres et celle qui va aux privilégiés, on aurait sans doute des surprises. Les citoyens les plus riches mobilisent une part importante des subsides de l’État : ils vivent dans des quartiers bien entretenus, ils profitent presque exclusivement de certains investissements publics et leurs enfants suivent des études longues, en grande partie financées par l’Etat, ce qui n’est pas le cas des pauvres. »

Pauvre et riche

Dans À mots découverts, Alain Rey écrit « …pauvre est latin, riche est germanique, avec un arrière-plan gaulois. Le premier transmet l’idée de petitesse, d’insuffisance ; le second, ce n’est pas l’argent, c’est d’abord l’idée de pouvoir, de puissance. Le rix de Vercingétorix, d’Astérix…correspond au rex latin, le « roi » ; d’ailleurs, on parle toujours des « rois de la finance » ou « du pétrole ». Au Moyen Âge comme aujourd’hui, les puissants, les détenteurs du pouvoir ont tendance à posséder beaucoup plus que le peuple d’en bas. »

Le jeu social et de la langue

Un homme pauvre ou un pauvre homme ? Les deux n’ont pas le même sens. On ne dit pas « un riche homme ». La richesse ne prête à aucune ambiguïté. Les pauvres deviennent intéressants quand ils deviennent misérables et roman. Sinon, ils ont bien mérité leur condition et n’ont qu’à faire les efforts nécessaires pour en sortir ! Sachant que les riches, directement ou indirectement, appuient de tout leur poids sur la condition des pauvres, ceux-ci portent le poids de toute la société. Le ruissellement miraculeux ne sert qu’à leur tenir précairement la tête hors de l’eau. Une présidente d’université reparlait de revenu universel pour permettre aux étudiants d’échapper à la précarité. Qu’y avait-il, déjà, plus ou moins le même jour, au menu donné à Versailles en l’honneur du Roi d’ Angleterre ?