Eurozoom, « Josée » et le cinéma d’animation japonais

Eurozoom, « Josée » et le cinéma d’animation japonais

18 juin 2021 Non Par Paul Rassat

La naissance d’Eurozoom

Eurozoom existe depuis 1997. Vous travaillez essentiellement avec le Japon. Comment ces liens privilégiés se sont-ils constitués ?

Nous travaillons effectivement surtout avec de l’animation japonaise même si nous pouvons nous ouvrir à la création européenne ou d’autres pays. J’ai créé Eurozoom de manière indépendante il y a vingt ans. Comme je ne venais pas du milieu, Eurozoom s’est construit en dehors du système franco-français. C’est vrai, peut-être par habitude, je travaille plus souvent sur le cinéma étranger que français. Du fait aussi qu’une relation en amène une autre. À l’origine seuls les films de Ghibli sortaient en salle, j’ai donc trouvé intéressant de travailler avec le Japon.

Pourquoi le Japon 

J’ai toujours été très attirée par la culture japonaise. Lors de mes voyages dans ce pays, je m’étais rendue compte que beaucoup de films n’étaient pas connus en Occident. Je suis donc passée de mon intérêt pour la culture japonaise à la volonté de faire connaître ces films magnifiques. Les débuts ont été très durs parce que l’on réduisait la culture japonaise à deux axes : les films Ghibli, seuls dignes de sortir en salle, et tout le reste destinés à la télé, au Club Dorothée. Petit à petit j’ai montré que ce n’est pas vrai.

Cinéma japonais / littérature française

Vous avez contribué à cette découverte du cinéma d’animation japonais en France …et « Josée, le Tigre et les Poissons » comporte un hommage à la littérature française et à Françoise Sagan. C’est un échange de bons procédés.

Les références à la France sont très fréquentes dans les films japonais. Je pense par exemple à « Belladonna » qui date de 1973. Ce chef d’œuvre psychédélique s’est fait en référence à la littérature française. « Your name », un très grand succès de 2016 fait référence à Paris. Il y a souvent des clins d’œil mais « Josée » va plus loin parce qu’elle est attirée par les personnages de Françoise Sagan et par leur univers.

Le Japon, l’image, l’animation

On peut avoir l’impression que chaque image du film est un tableau qui pourrait fonctionner indépendamment du reste. L’enchaînement des images, l’animation, apporte quelque chose de très particulier. Une profondeur.

Le film a été réalisé par le studio « Bones » qui est très réputé. Le style d’animation japonais est toujours très chiadé. On y porte une très forte attention aux compositions des plans, aux back grounds. On peut porter son attention aux tableaux tels que vous en avez parlé, ou bien à tout ce qui les lie. La réussite du cinéma japonais tient à ce qu’il allie ces deux mouvements. Il est possible de se perdre dans les détails ou d’être pris par l’animation.

On voyage entre un dessin très précis, des zones plus floues, l’ensemble donne une profondeur de champ très poétique.

Certains spectateurs relèvent que les personnages qui composent la foule, dans une gare, par exemple, n’ont pas de visage. Ce n’est pas lié à une économie de moyens. Il s’agit de focaliser l’attention du public sur certains détails et pas d’autres. La foule anonyme, par définition, n’a pas de visage. C’est un véritable choix.

Les mangas

Est-ce que l’on peut dire que la relation à l’image est particulière au Japon ?

Ce que l’on appelle manga au Japon est ancestral. La représentation dessinée de la vie de tous les jours a une histoire centenaire. Le manga, ce sont des dessins, animés ou non. Les écoles de peinture françaises mettaient en scène des représentations bibliques, mythologiques, le pouvoir avec une dimension sacralisée et élitiste. Au Japon, en revanche, a toujours existé cette dépiction des choses du quotidien. On y retrouve des artistes très connus, comme Hokuzai et sa fameuse vague. Il peut s’agir de gens qui passent sur un pont, un coucher de soleil, des choses très simples à appréhender.

Un peu comme dans les Haïkus.

C’est peut-être moins marqué dans « Josée » mais j’apprécie particulièrement ce rapport très simple à l’image dans le cinéma japonais. J’ai souvenir d’un film. Une jeune fille rentre chez elle. Elle enlève ses chaussures et on remarque que le sol est jonché de cannettes de bière. On comprend en un plan que sa mère est alcoolique.                                                                           Sunao Katabuchi, qui a réalisé « Dans un recoin de ce monde », me disait que l’animation lui permet d’approcher un plus grand réalisme. Michel Ocelot, dont l’œuvre est en exposition au château d’Annecy, dit que le conte (et l’animation) lui permet d’aller à l’essentiel.

Un seul objet peut montrer et signifier davantage que ce qu’on voit.

Le Festival d’Annecy

C’est la première fois que vous faisiez l’ouverture du Festival d’Annecy ?

De mémoire, je pense que seuls trois films japonais ont fait l’ouverture du Festival. Pour Eurozoom, c’est la première fois.

C’est une forme de reconnaissance ?

Oui et non. Nous avions cinq films à l’édition 2019 d’Annecy. Trois en compétition, deux en séances spéciales. Depuis une quinzaine d’années Eurozoom a de un à quatre films au Festival. Celui-ci fait beaucoup pour le cinéma d’animation. De notre côté, nous faisons beaucoup aussi pour que les films passent du Festival aux salles de projection. « Josée » sort aujourd’hui (le 16) dans cent salles de France.

Cette année vous êtes passée sur scène pour la soirée d’ouverture.

On passe sur scène à chaque fois. Marcel Jean est généreux et nous invite à parler de nos films quel que soit leur positionnement. Et puis nous avons une vraie proximité avec le public d’Annecy.