Folie et créativité
10 février 2022Dans son livre Un coup de hache dans la tête, Raphaël Gaillard étudie les relations entre la folie et la créativité. La démarche est intéressante à de nombreux points de vue mais surtout parce qu’elle prend à rebours certaines idées établies. Et si les troubles mentaux étaient le prix d’une évolution qui nous différencie des autres espèces ?
Voir de biais mais pas à travers un biais
Raphaël Gaillard cite une analyse étonnante liée à la Seconde Guerre Mondiale. La tendance naturelle pour que les avions alliés résistent aux balles ennemies aurait été de renforcer les endroits de la carlingue truffés de balles sur les avions rescapés. Le mathématicien Abraham Wald considéra au contraire que ces parties très exposées ayant résisté, il fallait consolider les autres. Et R. Gaillard de compléter « …l’erreur de raisonnement des Alliés est depuis désignée sous le nom de biais des survivants. Il consiste à surestimer la probabilité de survenue d’un phénomène en se basant sur les sujets ayant réussi mais qui sont des exceptions statistiques (des survivants) plutôt que des cas représentatifs. »
Et si les troubles mentaux étaient un signe positif ?
Si l’on étend ce raisonnement aux troubles mentaux, le développement de ceux-ci pourrait signaler un avantage plus important pour l’espèce humaine que les désavantages qu’elle représente. Des expériences montrent que l’homme de Néandertal et homo sapiens ne diffèrent que d’une lettre du code ADN. Celle qui rend homo sapiens sensible aux troubles mentaux. C’est pourtant lui qui s’est imposé en matière d’évolution.
Créativité et troubles mentaux
Il n’y a qu’un pas à franchir pour relier les capacités créatrices aux troubles mentaux. Cette fragilité se retrouve dans la néoténie de l’Homme. C’est ce caractère prématuré qui lui donne en revanche la plasticité nécessaire à l’évolution et à la création. « L’évolution de nos gènes et les performances exceptionnelles de notre cerveau nous ont rendus vulnérables aux désordres de l’esprit. »
Sagesse et folie
R. Gaillard cite Montaigne « Dans les actions des hommes qui ont perdu le sens, nous voyons comme la folie s’accorde proprement avec les plus vigoureuses opérations de notre esprit. » Pour Diderot, il n’y a pas de grand artiste sans « un petit coup de hache dans la tête. » Ainsi, l’homme « monotone (vivant sur une seule tonalité) aurait moins de risques de subir des troubles mentaux ? Notre ambivalence conduit au déséquilibre et pourtant, sans cette complexité, pas de créativité. Sagesse et folie ici. Intelligence et stupidité vivant là en couple, comme le montre L’Encyclopédie de la stupidité de Matthijs van Boxsel.
De l’art
Le livre de R. Gaillard se termine sur ces lignes « Il semble juste que ce soit les artistes eux-mêmes qui nous instruisent sur ce qu’est la folie. Non parce qu’ils en seraient frappés, mais parce qu’ils témoignent de ce qui porte en germe et la folie et l’œuvre d’art.
Secret de notre condition humaine. »