Georges Blanc, le niveau suprême à Vonnas

Georges Blanc, le niveau suprême à Vonnas

11 juillet 2022 Non Par Paul Rassat

Conversation avec Georges Blanc qui, à Vonnas,  créé un univers unique. Une étoile au Guide Michelin, il n’y  pas d’erreur. Deux étoiles, c’est parfait. Trois étoiles, c’est parfait et vous êtes seul-e à le proposer.

Quand le travail est plaisir

Georges Blanc, qu’avez-vous apporté à la cuisine et que vous a-t-elle apporté ?

J’ai eu la chance de vivre dans mon travail un réel plaisir. Ma devise est «  Sans passion point d’élévation. » J’approche des quatre-vingts ans et je travaille encore quinze heures par jour sans avoir l’impression de travailler. J’avais vingt et un ans lorsque je suis arrivé ici en 64. Depuis j’ai toujours été à la manœuvre. Au départ les activités étaient plutôt embryonnaires. C’était charbon et limonade par le père Blanc et des générations de cuisinières avaient épousé les pères Blanc. Ma grand-mère Élisa a eu une première étoile en 1927 alors que le Guide Michelin ne les attribuait que depuis 1924. Elle a obtenu la deuxième en 1931. Quant à moi, j’ai assuré la continuité des deux étoiles qui a couru pendant quarante ans et trois étoiles depuis quarante-deux ans.

Le trac comme moteur, et l’émotion

Pour certains les étoiles sont une course, pour d’autres un poids…

C’est une pression quotidienne. J’ai vécu avec, comme un comédien de talent a toujours le trac tout au long de sa carrière.

Puisque vous parlez de comédiens, vous leur rendez hommage avec votre « Bar des célébrités ». Vous êtes sur scène avec eux.

Notre clientèle est très éclectique. Elle est composée de gens anonymes, d’autres très puissants. Certains viennent de très près, d’autres de très loin. Je leur propose de vivre une rencontre, une expérience hors du commun. La qualité de la cuisine y participe incontestablement mais l’ensemble de l’expérience se doit d’être mémorable, susceptible de faire verser une larme à une dame.

Mêler son histoire et sa sensibilité pour créer une histoire

Comment vous y prenez-vous pour arracher des larmes aux dames ?

Je raconte l’histoire de la maison et celle de ma cuisine qui sont liées. Elles reflètent ma sensibilité.

Histoire liée pour la cuisine à un terroir, à des produits.

Pas forcément. La tendance actuelle est effectivement locavore. Elle consiste à mettre en œuvre des produits spécifiques de nos terroirs. J’ai été élu au Comité de la volaille de Bresse en 1976 et j’en suis le président depuis 1986. Et le meilleur ambassadeur. Mon engagement est fort et ma passion me pousse aussi à me renouveler. Il ne faut jamais se contenter des acquis. J’ai été le seul promu à la troisième étoile de 1981, le seul pendant quatre ans. Cela nous a valu beaucoup de nouveaux visiteurs. Il a fallu répondre à cette demande accrue. Certains venaient pour se faire plaisir, d’autres pour vérifier si ça valait vraiment trois étoiles.

Une histoire et un accomplissement

Comment faites-vous pour garder un équilibre entre votre image et l’innovation ?

J’avais hérité d’un répertoire classique, traditionnel, immuable et régional. C’était le registre des mères cuisinières que j’ai modifié rapidement dès que j’ai repris l’affaire familiale. J’ai commencé à faire évoluer ma cuisine. Les années 70 ont vu l’avènement de la nouvelle cuisine avec Gault et Millau. Et puis nous sommes sortis de l’ancienne auberge pour développer le village. J’ai acheté une trentaine de maisons qui constituent aujourd’hui un village dans le village. Mon bureau était au départ ma cuisine fonctionnant au charbon. J’habitais au-dessus de la salle du café. La lessiveuse se trouvait dans la cour, à côté du tas de charbon. Nous sommes passés de dix employés à deux cent vingt personnes qui animent ce village. C’est un accomplissement sur un demi siècle.

Persévérer, continuer

Comment expliquez-vous cette réussite ? D’autres ont les mêmes ambitions mais ne les réalisent pas.

C’est la persévérance. Je suis de signe Capricorne. Même si ça prend du temps, je suis sûr d’arriver au bout. Je pourrais vivre une retraite confortable, j’en ai les moyens, mais ce qui m’intéresse est de continuer. Je vais peut-être mourir en scène un jour .

Vous avez formé des générations de cuisiniers.

Un fils, un petit-fils et un arrière-petit-fils. Mon fils aîné travaille avec moi depuis plus de trente ans. Il est Capricorne comme moi. Je reste quand même le chef d’orchestre et le compositeur de la musique. Je suis chef de cuisine, vigneron, boulanger, chef d’entreprise, pâtissier, animateur d’une équipe formidable. Comme je dois montrer l’exemple, je suis là le premier le matin jusqu’au soir.

Toques et Étoiles

Une discussion avec Gautier Battistella évoquait la possibilité de créer une catégorie à part pour certaines maisons prestigieuses chargées d’histoire. On éviterait les polémiques qui ont concerné Marc Veyrat, la maison Bocuse et ça libèrerait quelques places pour de nouveaux étoilés.

C’est un peu ce qu’a fait Gault et Millau il y a quelque temps. Nous avons été classés Toque d’ Or plutôt que Cinq Toques. Nous n’avons plus rien à prouver mais nous pouvons quand même disparaître du paysage. On entend parler d’une quatrième étoile mais Michelin est toujours très fidèle à ses trois étoiles, rien de plus. On est un peu plus nombreux qu’avant, ce qui correspond à l’élévation de niveau de la cuisine. Celle qu’on faisait dans les années quatre-vingt n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Nous servons deux fois plus de couverts avec trois fois plus de personnel. La carte comptait vingt-huit plats. Elle est passée à quinze, avec seulement deux menus.

L’Oasis Georges Blanc

Vous avez pu observer une évolution des goûts de votre clientèle ?

Je tiens compte des réactions et on remplace aussitôt un plat qui n’emporte pas l’adhésion. Mais l’essentiel est le bon accompagnement. Notre valeur additionnelle est le village protégé sur plusieurs hectares avec une offre éclectique : trois hôtels, trois restaurants, des activités ludiques, des spas, une salle de spectacle Laurent Gerra. Nous sommes une destination touristique pour des séjours. Et puis nous sommes au carrefour des grands axes de circulation.

Effectivement, et on a l’impression aussi d’être au clame, un peu à l’écart de l’agitation.

C’est une oasis de calme où on vient passer un moment délicieux. J’ai été un peu moqué au départ, on m’a pris pour un mégalo.

Vous prenez quelques jours de vacances. Vous en profitez pour couper complètement ?

Je réfléchis, je récupère mais je suis toujours disponible par téléphone.