« Irréductible » de Jérôme Commandeur

« Irréductible » de Jérôme Commandeur

11 mai 2022 Non Par Paul Rassat

Ce film tendrement drôle est une déclaration d’amour à la France. Il aurait pu rester au niveau d’une charge contre les fonctionnaires. Il délivre en réalité un message humaniste. Le regard de Jérôme Commandeur sur la France est empreint d’amour et de bienveillance que l’humour empêche d’être dégoulinants. Excellent dosage. On notera qu’Irréductible sort alors que Jérôme Commandeur a tenu le rôle d’Abraracourcix, chef des irréductibles Gaulois, dans la dernière version d’Astérix et Obélix.

Rencontre avec Jérôme Commandeur aux Pathé Annecy

Une information circule. Macron cherche un ministre de la Fonction publique et il serait question de vous.

Pas de commentaire (mais un rire franc !)

Trouver un regard extérieur est intéressant. On en arrive à expliquer le principe du 13° mois à un Indien Quechua. D’ailleurs le propos du film est « S’adapter ou être décalé ». L’humour se trouve entre les deux et à la fin votre personnage est juste. Ni adapté, ni décalé. Juste.

Très bon regard sur le film. C’est celui que j’avais en le tournant. Un copain m’a donné un avis très juste aussi. « C’est un type qui va vivre des aventures dans le monde entier parce qu’il ne veut pas sortir de son bureau. »   

  Adapter pour être vrai   

J’aime dire que mon travail est une adaptation, alors que certains en font sans le dire. Le film original est italien, Quo Vado. Je devais donc transformer un film italien de 2016 en version française de 2022. J’ai gardé la trame, l’avancement du personnage et sa transformation à la fin. L’adaptation de tout le reste à été difficile mais passionnante. Checco Zalone, qui joue dans le film de Gennaro Nunziante, est un Dany Boon avec une touche de Dupontel.

La politique hors sol et l’humour en prise sur la vie

Ce qui m’a plu dans le sujet, c’est son point de départ. Une réforme hors sol comme malheureusement nos gouvernants ont le secret. C’est en correspondance parfaite avec le climat politique actuel. Il est fonctionnaire. On veut le virer, il reste. On le mute dans tous les coins les plus dingues, jusqu’au Groenland. Ce point de départ m’a sans doute rappelé les années de radio pendant lesquelles j’écrivais sur l’actu. J’aime quand l’humour est en prise avec ce qu’on vit. L’air du temps est impalpable mais il change.

Jouer avec l’imaginaire

L’un des axes du film est le langage. Tout ce que dit le guide interprète se révèle faux. Comme souvent le langage politique. Et puis il y a des répliques qui valent le détour « Je garde mon énergie sexuelle pour la calotte glaciaire. », par exemple.

J’adore ce que vous dites. C’est comme sur scène. On place un sous-entendu un peu cul…Je reviens au film. Le ministre joué par Gérard Darmon menace sa subordonnée. Si vous déconnez, je fais tourner une mappemonde, je pose mon doigt et je vous mute à l’endroit du doigt. » J’adore ce double sens. On joue avec l’imaginaire.

Question, aussi, de casting

Le casting est parfait, et ce que vous venez de dire signifie que le public fait partie du casting, lui aussi.

Merci, c’est comme ça que je vois les choses. On ne joue pas tout seul. On fait du cinéma pour les gens. Quand quelqu’un me cite une réplique de l’un de mes films, ça pourrait me mettre les larmes aux yeux. Mon obsession est de toucher les gens.

Depardieu, par Toutatis !

L’intervention de Depardieu y contribue beaucoup.

C’est une déclaration d’amour à la France. Je suis  convaincu que la France rassemble. On y partage des valeurs comme on partage un repas. En échangeant. Cette déclaration tombe à un moment où la mode n’est pas forcément au partage des valeurs. Les candidats ont parlé davantage de ce qui nous sépare que de ce qui nous rassemble. La présentation d’Irréductible me conduit dans 180 villes. Le manque de liens me saute aux yeux ! Ce que j’avais demandé à Depardieu qui le fait au-delà de mes espérances, c’est de nous parler de nous, de ce qu’on partage. Une culture, une langue, un patrimoine, des paysages, une Histoire ! Alors qu’on essaye de nous cliver. J’ai écrit une très longue lettre à Depardieu pour lui dire ce qu’il représente pour moi et pour nous, les Français. On a besoin de repères, comme l’étaient Johnny, Belmondo.

Quand la politique s’en mêle et s’emmêle

C’est d’autant plus intéressant qu’il y a eu des polémiques autour de positions qu’il avait prises auparavant.

Il est un peu chien et chat avec la France. Mais quand je le vois aussi pénétré, dire ce texte avec une telle grâce naturelle ! Il le susurre même à un moment…Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il aime ce pays. Et puis cette scène est aussi ma déclaration d’amour à la France et…j’allais dire aux Français. [Certains auraient appris à mieux aimer les Français. D’autres leur font des déclarations d’amour].

Les valeurs simples

Cette déclaration d’amour passe aussi par la nourriture. On se souvient des bruits et de l’odeur version Chirac. Quand votre personnage réalise que la France lui manque, ça passe par ces sensations. Du concret.

Oui. J’ai tourné trois mois en Thaïlande, par exemple. Il n’y a pas de cafés comme en France. Boire un verre en terrasse, avec des copains, nous semble très banal, mais c’est terriblement français. Comme les pots de départ. J’en mets dans tous mes spectacles. C’est ce côté convivial qui fait notre culture.

Et justement l’humour est différent d’une culture à l’autre.

Certaines choses me faisaient rire dans le film italien mais je n’i pas pu les garder.

Aller chercher au fond de soi

La clé du film est peut-être la formule prononcée par un enfant « Tu dois utiliser ton meilleur atout. »

Vincent faisait douze mètres pour aller de chez lui au bureau. Tout est réglé, déjeuner du dimanche, belle famille. Il faut aller chercher au fond de soi ce qui est là mais qu’on n’a jamais eu le courage d’aller chercher. C’est peut-être le vrai sujet du film. Chacun a deux ou trois trésors inutilisés au fond de sa cave. Ce que Vincent fait à la fin du film, cette transformation, parle à tout le monde.

Être juste plutôt que se repositionner

L’humour ajoute à cette dimension Les adultes se comportent comme des enfants. L’un de ceux-ci dit « Je crois que Vincent veut copuler avec maman. » Tout est chamboulé.

C’est un phénomène d’époque. Il y a quelques jours, la fille d’amis, douze ans me dit « J’ai des problèmes de couple. — Ah bon ! — Tu vois, il faut que je me repositionne dans mon couple. »

[La conversation se poursuit sur le thème de la culture et l’échange de slogans publicitaires qui marque cet air du temps dont parle plus haut Jérôme.]