La mémoire culturelle d’Annecy, Peuple et Culture
27 mai 2021Le mémoire de Geneviève Carpier
Le Mémoire réalisé par Geneviève Carpier en 1974 en retrace l’esprit et les réalisations. Il rend hommage à ceux qui ont porté ce mouvement. Le titre en est :
« Fondation du mouvement national Peuple et Culture 1944-1948 et étude du groupe de base Peuple et Culture de Haute-Savoie 1944-1951
Mémoire réalisé sous la direction de Monsieur le Professeur Jacques Droz et de Madame Madeleine Rébérioux
Université de Paris
Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Paris I.
Ce texte reprend de très près la formulation de Geneviève Carpier. Il est tiré de la lecture de l’exemplaire ayant appartenu à Paul Thisse, prêté par Joseph Paléni.
Les objectifs de Peuple et Culture
Dès sa création, le groupe Peuple et Culture de Haute-Savoie voulut faire œuvre concrète et incarner ses projets dans des entreprises multiples, s’accordant aux besoins, aspirations, rêves ou exigences d’une population circonscrite géographiquement et dans le temps mais, présentant une réelle diversité au plan social, organisationnel et idéologique…Il fallait inventer une socialité nouvelle dans la ville, fournir des moyens de rencontre et de communication non tributaires des schémas passés, permettant à chacun de donner sens à ce qu’il faisait et, à l’ensemble de la population de prendre conscience de sa fonction civilisatrice. « Militer contre une séparation de la culture et de la vie, militer pour une culture vivante devant restituer leur plein sens à la vie quotidienne, au langage, à la fête. » (Paul. Thisse)
Naissance d’un mouvement d’éducation populaire en Haute-Savoie
Installées dans un premier temps aux Marquisats, les commissions gagnent ensuite en autonomie et se déplacent dans leurs propres locaux. L’association « Peuple et Culture » (PEC) rassemble les animateurs de toutes les associations afin de créer un front commun de progrès culturel et social dans la cité. C’est la « technique du marcottage ».
Sont crées diverses commissions.
— Le Centre d’Éducation Ouvrière installé dans les vieilles prisons. Il diffuse des cours de formation économique du militant et des cours d’entraînement mental. Complétés par un cours donné par Paul Thisse sur l’histoire du mouvement ouvrier, des conférences.
— La commission de formation des jeunes
Elle organise dès mai 1945 des sessions et stages de formation. Les premiers participants sont des moniteurs de colonies de vacances. Ils suivent une formation avec les C.E.M .E.A
— La commission de formation sociale du soldat
Le travail se fait à la demande de l’armée à partir de 1945. Conférences, cercles d’études sont organisées à la caserne Galbert. : armée et nation, la France et la révolution du 20° siècle, politique, économie, approche sociale…mission, style, vie intérieure du soldat.
— La commission loisirs et sports
Des huit commissions, c’est elle qui a le départ le plus retentissant. Dans l’équipe, au côté de Paul Thisse, B. Bing, élève de Jacques Copeau. Il écrit pour le 1ER mai une « célébration », un spectacle populaire. Le thème en est « de la guerre à la Libération.. Les acteurs sont de jeunes militants C.G.T ( Confédération Générale du Travail), C.F.T.C ( Confédération Française des Travailleurs Chrétiens), U.J.R.F ( Mouvement des Jeunes Communistes de France) ,J.O.C (Jeunesse Ouvrière de France), Ajistes ( Membres du Mouvement des Auberges de Jeunesse)…
En été 45, Gabriel Monnet, instituteur, est détaché à Annecy comme instructeur national…Il crée alors un « groupe populaire d’expression orale et dramatique » installé rue de La Paix.
— La commission « Presse et Propagande »
Elle fait connaître le mouvement et en élargit l’audience. Les journaux reprennent ses informations. Elle rédige en 45/46 une revue intitulée « Jeune Savoie ».
— Commission « Documentation et Bibliothèques populaire »
Il s’agit de former les membres de l’équipe à la lecture et de vulgariser celle-ci dans la ville en rendant les bibliothèques plus proches des travailleurs.
Le Groupe d’action théâtrale (G.A.T)
Dès sa création, le mouvement « Peuple et Culture » de Haute-Savoie apporte une contribution passionnée au théâtre et à la poésie. C’est le prolongement de la Résistance qui fut armée mais aussi intellectuelle et poétique. En témoignent les veillées des maquisards, les publications clandestines parmi lesquelles « Les cahiers du Rhône » avec Aragon, P. Emmanuel, Paul. Éluard . Par ailleurs l’influence d’un Paul Thisse qui était proche de Jacques Copeau et de l’aventure du Vieux-Colombier ( 1913-1924) ou bien de celle des « Copiaux » en Bourgogne (1924-1932).
Paul Thisse fait découvrir à la Haute-Savoie la première troupe permanente en province, animée par Jean Dasté, « Les comédiens de Grenoble ». « De cette première rencontre devait naître une amitié « intime » entre Jean Dasté et l’équipe annécienne, que rien ne devait plus interrompre » ( écrit Paul Thisse).
La célébration de la vraie Libération
Paul Thisse fait participer Annecy au réveil théâtral. C’est ce à quoi contribue la Commission Dramatique de Bernard. Bing, passé par les « Copiaux » et qui monta en 45 la « Célébration de la vraie Libération », comme signalé plus haut. Au départ de Bernard. Bing, le flambeau est repris par Gabriel Monnet.
Il s’agit de rendre la culture dramatique plus vivante, particulièrement auprès des jeunes. Cours, stages, veillées poétiques…toujours sur le principe du marcottage. De nombreux spectacles issus de ces formations et échanges sont présentés au public. Le théâtre de Yaniléo , groupe d’initiation poétique et dramatique naît en octobre 1952.
En 1946 sont fondés la « Société des Beaux Arts » et le G.A.T afin de présenter des spectacles de qualité à des prix accessibles.
Esprit d’ouverture
Le G.A.T s’efforce d’introduire à Annecy les centres dramatiques nés un peu partout en France sous l’impulsion de Jeanne Laurent, parmi lesquels ceux de Saint-Étienne (J. Dasté), Villeurbanne (Planchon), Lyon (Maréchal)…de faire connaître Sophocle, Molière, Shakespeare, le Nô japonais, Claudel, Pirandello, Lorca, Brecht, Gogol, Dostoïevski, Tchékov, Ionesco…Ce programme très varié provoqua parfois des remous autour de ce qui était considéré à l’époque comme d’audacieuses nouveautés. Ce fut en particulier le cas pour « La P. respectueuse » de Sartre, « En attendant Godot » de Beckett, « Homme pour homme » de Brecht.
Les Escholiers (créés en 1928), encouragés par ce mouvement, s’attaquent aux « Frères Karamazoff » avec Catherine Sauvage, Camille Mugnier et Gabriel Monnet sur les planches et à la mise en scène.. La reprise de « Volpone » entraîna une interdiction du spectacle par les autorités religieuses.
Le calendrier des représentations, veillées, animations de l’époque traduit une véritable effervescence théâtrale.
Le Ciné Club d’Annecy
Il s’agissait de faire connaître les grands classiques de l’écran et de développer une pédagogie par le film pour transformer le spectateur passif en être actif. Une culture pour le cinéma s’impose donc afin d’établir un équilibre entre l’approche technique et la fonction de loisir. André Bazin, Henri Moret donnèrent son élan à l’entreprise. Les liens de Henry Moret avec le monde du cinéma et avec le Festival d’Avignon contribuèrent à faire d’Annecy la ville des « Journées internationales du cinéma d’animation ».
Un ciné bus élargit le rayon d’action du Ciné Club, animé par Urbanek, Gabriel. Monnet, Henri Odesser.
À suivre…
Les Escholiers ont été créés en 1928, donc bien avant l’Esprit de l’après-guerre.
Le « marcottage » associatif est un concept de Joffre Dumazedier qui l’a appliqué au cours des stages « Entrainement mental » de PEC.
La création théâtrale à Annecy est dûe à Paul Thisse et Gabriel Monnet, ce dernier étant le père de la décentralisation théâtrale. Il fut le premier à célébrer la Libération (« Montagnes en guerre » sur le Pâquier).
Henry Moret (avec un Y), Julien Helfgott, Geo Mallinjoud et quelques autres de PEC, ont été à l’origine du Ciné-club d’Annecy, qui va devenir l’un des deux plus importants de France. Georges Gondran en a pris la tête à l’arrivée des JICA.