La nature de la poésie

La nature de la poésie

4 décembre 2023 Non Par Paul Rassat

La nature est la source essentielle de nos sensations d’où naît le besoin de les exprimer. En disant la nature que nous ressentons, nous définissons notre être. Il est possible d’y ajouter une part de poésie qui enrichit notre existence. C’est pourquoi, sans doute, naquirent les figures de style.

La métaphore

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

La comparaison

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Baudelaire Correspondances

L’oxymore

Passant dernièrement des Alpes au travers

(J’entends ces Alpes hauts, dont les roches cornues

Paraissent en hauteur outrepasser les nues)

Lorsqu’ils étaient encor’ de neige tout couverts,

J’aperçus deux effets étrangement divers,

Et choses que je crois jamais n’être avenues

Ailleurs : car par le feu les neiges sont fondues,

Le chaud chasse le froid par tout cet univers.

Autre preuve j’en fis que je n’eusse pu croire,

La neige dans le feu son élément contraire,

Et moi dedans le froid de la neige brûler,

Sans que la neige en fût nullement consommée :

Puis tout en un instant cette flamme allumée

M’environnait de feu et me faisait geler.

Étienne Jodelle

Les frontières

Souvent, les figures de style sont devenues des clichés comme «  Le blanc manteau neigeux » ou autres images de cartes postales. Mais certaines parviennent à bouleverser l’ordre qui submerge l’inventivité. Elles malaxent, inversent pour créer un regard et un nouvel ordre. Serait-ce l’essence de la poésie ? Celle-ci n’est pas « subversive » comme il a été dit lors de la cérémonie télévisuelle consacrée à l’enterrement de la langue française qui s’est tenue à Villers- Cotterêts. La poésie est.

Extraits de Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier

« …Robinson s’était efforcé d’apprendre l’anglais à Vendredi. Sa méthode était simple. Il lui montrait une marguerite, et il lui disait :

— Marguerite.

   Et Vendredi répétait :                                                                                                                                                  — Marguerite…..

Un jour cependant, Vendredi montra à Robinson une tache blanche qui palpitait dans l’herbe, et il lui dit :

 — Marguerite.

 — Oui, répondit Robinson, c’est une marguerite.

 Mais à peine avait-il prononcé ces mots que la marguerite battait des ailes et s’envolait.

  — Tu vois, dit-il aussitôt, nous nous sommes trompés. Ce n’était pas une marguerite, c’était un papillon.

  — Un papillon blanc, rétorqua Vendredi, c’est une marguerite qui vole. »…

Inverser l’ordre établi

« Plus tard, Vendredi et lui se promenaient sur la plage. Le ciel était bleu, sans nuages, mais comme il était encore très matin, on voyait le disque blanc de la lune à l’ouest. Vendredi qui ramassait des coquillages montra à Robinson un petit galet qui faisait une  tache blanche et ronde sur le sable pur et propre. Alors, il leva la main vers la lune et dit à Robinson :

— Écoute-moi. Est-ce que la lune est le galet du ciel, ou est-ce ce petit galet qui est la lune du sable ?

  Et il éclata de rire, comme s’il savait d’avance que Robinson ne pourrait pas répondre à cette drôle de question. »