La relève culturelle

La relève culturelle

18 décembre 2023 Non Par Paul Rassat

Rima Abdul Malak souhaite recruter et former une relève de 101 « manageurs culturels ». Un par département. Les candidats doivent déjà être impliqués dans les réseaux de la culture. La ministre souhaite privilégier la diversité en procédant ainsi.

« Objectif : créer une nouvelle génération de manageurs, capables, précise la ministre, d’« amener un autre regard, un autre vocabulaire, une autre perception… La question qui se pose, c’est celle de la pérennité de notre modèle culturel. Or, contrairement à ce que l’on pense, ce n’est pas qu’une question de budget ». Le Monde.

Sus à la gérontolophilie élitiste !

Le Monde poursuit « De fait, l’héritage de Jack Lang a vieilli. Il s’est institutionnalisé. Avec la labellisation est venue la fonctionnarisation. La génération qui a ouvert ces lieux ronronne, quand elle ne se plaint pas de passer plus de temps à faire de la gestion et des ressources humaines que de l’animation culturelle. Ajoutez un public vieillissant et de plus en plus élitiste…

 Des nominations de directeurs de lieux, j’en ai déjà fait soixante-sept. J’ai vu comment se constituaient les candidatures. Si chez les artistes – pour les lieux qu’ils dirigent, comme les centres dramatiques nationaux – , il y a une vraie diversité, en revanche, pour les dirigeants de scènes nationales, de scènes de musique actuelle, de centres d’art… on a un problème : peu de candidats, des profils semblables, une crise des vocations… » dit la ministre. Il est alors question de « casting sauvage » !

L’enfer serait-il pavé de bonnes intentions ?

Dix-huit mois de formation commune, même à Sciences Po, ne nivelleront-ils pas la diversité ? Le réseau des scènes nationales ne se chargera-t-il pas de parachever l’uniformisation ?  Les mots du Monde sont significatifs. Il ne s’agirait pas de mener des actions culturelles mais de « l’animation culturelle ». Et de ne pas sombrer dans « l’élitisme ».

L’exemple d’Annecy

Talpa a déjà traité de cette question avec Annecy, un exemple très parlant. Les grandes années de création artistique qui ont éclos après la deuxième guerre mondiale ont vite été récupérées. L’élan de la Résistance s’est essoufflé parce que les politiques, s’ils ne l’ont pas empêché, ne se sont pas suffisamment impliqués. La ville retrouvait son assise embourgeoisée. Il a fallu attendre 2021 pour que la pièce de Michel Vinaver Les Coréens soit montrée au château d’Annecy, où s’étaient tenues les nuits théâtrales des années cinquante qui firent tant parler d’elles. Sous la direction de Gabriel Monnet, elles relevaient de l’élitisme populaire. Un élitisme pour tous. Mais à cette époque Les Coréens dérangeaient la bonne ville d’Annecy. La pièce était trop à droite pour la gauche, trop à gauche pour la droite. Le centre se tut et l’emporta.

La culture de la gestion

Dans les années 90 naquit le CDN des Savoie. Une structure de création sans lieu de travail propre mais destinée à alimenter les scènes nationales de Chambéry et d’Annecy. Le CDNS, dirigé successivement par deux artistes, Alain Françon et André Engel, finit par disparaître du paysage. Il faisait de l’ombre aux deux gestionnaires des scènes nationales de Chambéry et d’Annecy. Les élus et chargés de la culture d’Annecy s’indignèrent, poussèrent les hauts cris et versèrent des larmes de crocodile. Pendant ce temps, ils n’avaient pas augmenté leur très faible participation au budget du CDNS. Le ministre de la culture de l’époque fut tout content de mettre fin à cette aventure artistique originale .

Un tout petit exemple

Salvador Garcia demeura 26 années à la tête de Bonlieu scène nationale. Un bail. Bail qu’il tenta d’auréoler d’une candidature de la ville au label de capitale française de la culture. Il avait l’intention de créer cent vitrines culturelles. Vitriniser la culture ! Épater le chaland avec Annecy Paysages.

Créateur ou manageur ?

On ne dit plus gestionnaire, c’est ringard. Manageur sonne mieux. Une élue au CA de Bonlieu scène nationale me disait il y a quelques mois qu’il y en a marre de cette culture élitiste qui avait sévi du temps de Daniel Sonzini, prédécesseur de Salvador Garcia ! Marre, en somme, de cet héritage qui remonte aux Gabriel Monnet, Michel Vinaver. Marre de l’esprit de la Résistance et de la véritable décentralisation. Cette élue au CA de Bonlieu apprécie, elle, la culture populaire, la vraie, celle qui s’exprime dans la Grande Balade d’ Annecy Paysages et culmine lors du pique-nique populaire.

L’art ou la culture ?

Ceci nous mène à une réflexion rapide et discutable. Il semble qu’il y ait, au départ, des artistes qui créent. Pour être montré, l’art doit bénéficier de structures (qui permettent aussi aux artistes de vivre). Conditionné, étiqueté, emballé, l’art devient alors de la culture que gèrent ( après l’avoir plus ou moins bien digérée) des manageurs. Afin de toucher le plus large public, l’art devenu culture se transforme ensuite en événementiel que l’on confond souvent avec de l’art populaire. Le tout emprunte les voies de la communication et de la publicité pour toucher, une fois encore, le public le plus large. À ce point du processus, la publicité et la communication deviennent de l’art et l’art original devient de l’élitisme. Le temps de cerveau disponible pour Coca gagne tout le domaine de l’art, de la culture et de la com confondus dans le « partage d’émotions ».

Prendre le taureau par les cornes ?

À ce stade de la réflexion, il convient de se demander s’il est pertinent, chère ministre de la culture, de prendre le taureau par les cornes pour assurer une gestion saine et diversifiée de la culture. Peut-être vaudrait-il mieux garder les cornes et les planter sur un autre taureau. Revoir, par exemple, le cahier des charges des scènes nationales.