L’art de converser et de faire l’amour

L’art de converser et de faire l’amour

17 janvier 2021 Non Par Paul Rassat

Ne pas abuser de sa position

La vie est affaire de positions. Aussi bien en politique qu’à la guerre, à la bourse ou en amour. Dans le cadre de sa série Les femmes puissantes, Léa Salamé interviewait Karine Lejeune, colonelle et porte-parole de la Gendarmerie nationale. Le dictionnaire nous apprend que la puissance est la force, le pouvoir, la capacité concrète ou virtuelle, le pouvoir d’action ou d’imposer son autorité. Proudhon, en avance sur notre époque, utilisait déjà l’adjectif puissanciel. On notera que l’origine latine possum (je peux) à quelque chose à voir avec bousculer et heurter mais aussi avec le mot pouce. La véritable puissance ne consisterait-elle pas à faire de son pouvoir le meilleur usage possible, dosé et pertinent, à savoir mettre les pouces ?

De l’importance des positions

Au cours de cette conversation avec Léa Salamé, Mme Karine Lejeune déclare « Face aux violences faites aux femmes…il est impossible d’être derrière chaque citoyen. » C’est exact. Notre discours commun recourt cependant de plus en plus à des expressions qui expriment des positions concrètes. L’abstraction s’efface, vaincue par l’emprise d’un monde matérialiste. On est face à ou bien derrière. Rarement avec. On est au-dessus ou bien au-dessous, premier ou dernier de cordée. Paul Valéry écrit

Nul ne doit être cru ni suivi à cause de sa place, de sa puissance fictive… « Anarchiste » c’est l’observateur qui voit ce qu’il voit et non ce qu’il est d’usage que l’on voie.

Il ne s’agit pas de critiquer l’égalité de droits entre les femmes et les hommes, qui est essentielle. Mais de réfléchir à la notion de pouvoir, de puissance et de hiérarchie. Karine Lejeune est fière que l’un de ses jeunes fils ait noté qu’elle donne les ordres et que c’est elle la cheffe.

Le rythme ternaire

On connaît l’importance du rythme ternaire dans la maîtrise oratoire aussi bien qu’en littérature. Voir Chateaubriand à ce propos. Ne jamais placer non plus deux fleurs dans un vase, il en faut trois, pour l’équilibre. De même que René Girard affirme que deux personnes forment un trio. Le mari, la femme et l’amant(e), Don Quichotte, Dulcinée et la chevalerie. La devise française Liberté Égalité Fraternité inclut déjà naturellement ce rythme ternaire propre à approfondir le champ des relations. Or ne voit-on pas la gauche se réclamer de l’égalité, la droite de la liberté, qui ne seraient l’une et l’autre pas grand-chose sans la fraternité. Et Léa Salamé de demander à Karine Lejeune « Liberté, égalité, vous préférez quoi ? » Une réponse intéressante aurait pu être « Liberté, égalité frasorité ».

La position en amour

À une question, Karine Lejeune répond

Je crois que j’aimerais savoir ce que l’on peut ressentir quand on est un homme et qu’on fait l’amour à une femme. 

La taupe avait déjà entendu Nagui, l’animateur, parler de faire l’amour à une femme. Cette expression interpelle quelque part, non ? Pendant qu’un homme fait l’amour à une femme celle-ci fait-elle du tricot ? La cuisine ? Faire l’amour ne suppose-t-il pas une réciprocité, des interactions, des interpensées, des intersensations ? La taupe remarque aussi qu’un homme n’est pas tous les hommes et que, s’il y a interaction, ce qu’il ressent est le résultat de cette interaction, qui diffère avec chaque femme, voire à chaque fois. Il en va de l’amour comme de la conversation et des corps comme des esprits puisqu’il leur arrive, heureusement, d’être liés indissociablement.

La conversation ne se réduit pas à transmettre des informations ou à partager des émotions, ni à mettre des idées dans la tête des gens…Lorsque des esprits se rencontrent, ils ne se limitent pas à échanger des faits : ils les transforment, les remodèlent et en tirent d’autres implications, se lancent dans de nouvelles directions. La conversation ne se contente pas de battre les cartes : elle en crée de nouvelles…de la rencontre entre deux esprits naît une étincelle.

Théodore Zeldin De la conversation

Échapper à l’uniforme

La vie devrait être interaction et transmission réciproque en permanence. Transmission réciproque constitue d’ailleurs un pléonasme. En amour aussi bien que dans le domaine de l’enseignement. Celui-ci est ennuyeux quand l’un donne et que les autres reçoivent. Le premier s’appauvrit, les autres se dessèchent. La variété et le plaisir naissent de la rencontre. C’est sinon une forme de viol, voire un viol réel. De l’inconnu naît le plaisir que l’uniforme tue.

Avec tous mes compléments

J’échange, tu échanges, nous échangeons…la mode est à l’échange. Naguère ce verbe se construisait transitivement, c’est-à-dire avec un complément d’objet. On échangeait des biens, des objets, des idées, des prisonniers (c’était le bon temps, les prisonniers !) Aujourd’hui, le verbe se suffit à lui-même. On échange.

— Qu’avez-vous fait ?

—  On a échangé.

L’action d’échanger l’emporte sur la cause, l’objet, le résultat, la manière dont, au fond, tout le monde se fiche.

   Nous nous transformons désormais en échangeurs et le tissu humain devient un réseau routier, même si le port de bretelles a tendance à disparaître.

Tant qu’il y a de l’échange, il y a de la vie. L’échange devient même le but, à terme toujours plus court, de la vie.

   Nous communiquons, aussi. Nous devenons des vases communicants qui égalisons tout et le digérons en une vase uniforme. C’est l’inéluctable tendance sociétale qui débouchera peut-être, un jour, sur l’intime communication avec soi-même, de sujet à sujet puisque le verbe communiquer s’utilise de plus en plus sans complément.

   Au fond, je m’échangerais volontiers avec un autre moi-même.

Et que dire du verbe profiter, employé lui aussi sans complément ? Profite !

Alors que faire du profit devient le but ultime, il est bien normal de profiter, non ?

On a hâte, on a envie…sans complément la vie devient intransitive, elle ne transmet rien.

Statistiques

Quatre-vingt-quinze fois sur cent
La femme s’emmerde en baisant
Qu’elle le taise ou le confesse
C’est pas tous les jours qu’on lui déride les fesses

chantait Brassens

Nous ne savons pas d’où Brassens tirait ces statistiques et n’en avons pas davantage mais le constat pourrait être élargi au monde du travail, pour femmes et hommes, à celui de l’obéissance, de la hiérarchie, de la puissance en général.