Le bonnet du forme et le casque à pointe

Le bonnet du forme et le casque à pointe

28 décembre 2023 Non Par Paul Rassat

A — Il vaut mieux faire les choses en bonnet du forme. C’est rassurant, il suffit de suivre le principe de précaution. Comme ça, on sait où on met les pieds.

B — En bonnet du forme ? Ce truc qui ressemble à un casque à pointe sans pointe ?

A — Peut-être, mais est-ce qu’un casque à pointe sans pointe est encore un casque à pointe ? Je vous le demande.

B — Est-ce que la pipe de Magritte qui n’est pas une pipe est une pipe malgré tout ?  Je vous le demande.

A — Remontons plus loin…

B — Que la pointe ?

A — Remontons à l’œuf et à la poule.

A — À la pointe de tout raisonnement.

B — Qui précède qui ? L’œuf ou la poule ?

A — La question est mal posée ? Voire sans sens.

B — Ah bon ?

A — Oui, elle est basiquement liée à l’usage que vous faites de l’œuf ou de la poule. Si c’est l’œuf qui vous intéresse, il vient après la poule qui l’a pondu. Mais si vous comptez cuisiner la poule, elle vient après le dernier œuf qu’elle a pondu.Donc avant le suivant. Quelles que soient les recettes que vous mettrez en œuvre en bonne et due forme. Ça marche aussi bien pour l’omelette que pour l’œuf mollet, à la coque, meurette, tout ce que vous voulez.

B — En revanche, il n’y a pas beaucoup de manières de cuisiner la poule sinon au pot.

A — C’est la faute à Henri IV. Mais c’est une autre histoire.

B — Je pense à une chose. Si on obligeait tous les immigrés, tous les réfugiés à porter un bonnet du forme, on les verrait et puis, surtout, ils suivraient le droit chemin. Ça rassurerait tout le monde. Les Français de souche, de tronc et de feuillage comme les immigrés eux-mêmes qui sauraient quel chemin suivre.

A— On pourrait même en équiper les clandestins !

B — À condition de les déclandestiniser. C’est pas facile.

A — Nous parlions de la pipe de Magritte. Pourquoi prétend-il que sa pipe n’est pas une pipe ?

B — Parce qu’elle est la représentation d’une pipe.

A —Et la représentation n’est pas l’objet ?

B — Bien sûr que non, voyons !

A — D’accord, mais pour peindre la pipe de Magritte, il a fallu remonter de pipe en pipe jusqu’à la première ? Et cette première, elle a existé avant qu’on lui donne le nom de pipe. Elle était donc une pipe, la pipe qui a précédé toutes les autres et pourtant, elle n’était pas encore une pipe puisqu’elle n’en portait pas le nom.

B — J’avoue que vous posez là une question fondamentale. Une chose qui n ‘a pas de nom existe-elle ?

A — Mais plus encore : est-il possible de nommer une chose qui n’existe pas ? Disons que nous vivons en démocratie. Beaucoup de pays se prétendent des démocraties alors qu’elles sont des pays totalitaires.

B — Vous avez parfaitement raison. Je me rappelle cette histoire :

 Un garçon demande un jour à son père, qui était un homme instruit, pourquoi un strudel s’appelait un strudel.

   Le père, comme s’il devinait l’importance de la question, réfléchit longtemps avant de dire à son fils :

— Réponds-moi : est-ce que le strudel n’a pas la forme, l’épaisseur et la consistance du strudel ?

— Si, dit le fils.

— N’a-t-il pas un goût de cannelle, comme le strudel ?

— Si, c’est vrai, il a un goût de cannelle.

— Ne contient-il pas des pommes cuites, amollies et suaves, comme le strudel ?

— Si, dit encore le fils.

— Eh bien, lui dit alors le père, s’il a tous ces points communs avec le strudel, pourquoi l’appellerait-on autrement ? »

A — Eh oui ! Pourquoi la représentation d’une pipe ne serait-elle pas une pipe ? Je reviens à l’œuf et à la poule. Il faut admettre qu’ils coexistent. Que serait la poule sans l’œuf ? Que serait l’œuf sans la poule ?  Hein, qu’en dites-vous ? Ils coexistent comme la Sainte Trinité réduite à la Dualité du poulailler ! C’est l’homme qui les sépare en fonction du mode de cuisson qu’il leur fait subir. En cocotte, à la poêle, brouillés, dans l’eau et tutti quanti. Sur la croix ou sur l’autel.

B — Oui, finalement, tout dépend de la façon de cuisiner les gens, les choses, les produits. Les zélus cuisinent les chiffres à la mode de chez eux, chacun la sienne. Les mauvais cuisiniers séparent, réduisent, cuisent à l’étouffée. Les bons cuisiniers font chanter, créent de l’harmonie en bonnet du forme. Suivant les principes fondamentaux de la bonne cuisine.

B — On dit que les chefs ont souvent la tête près du bonnet. Ils piquent des colères, ils s’emportent vite.

A — C’était vrai autrefois. Ils se sont adoucis, même s’ils restent des gens de caractère. On les voit plus, ils sortent de leur cuisine, paradent dans les médias. Ils se sont policés.

B — Ils tiennent le devant de la scène et piquent même la vedette aux politiques, c’est dire !

A — Tout le monde veut tenir le devant de la scène.

B — Si ça continue, y’aura plus personne à l’arrière.

A — Si ça continue le bateau va couler, la proue va s’enfoncer dans un océan de médiatisation.

B — Et pendant que tout le monde sera à l’avant, on pourra nous la faire à l’envers.

A — D’où l’intérêt d’être croyant.

B — Comment ça ?

A — Puisque les premiers seront les derniers et inversement, ceux de l’avant seront au fond et ceux du fond sur le devant. Ils ne risqueront rien.

B — C’est pas idiot !

A —Non seulement ce n’est pas idiot, mais ça répond à notre question. Ce n’est ni la pipe, ni l’œuf, ni la poule qui importent, mais l’image et l’usage qu’on en fait. Tout est dans tout et inversement avant qu’on décide de faire une omelette, des œufs brouillés, coque, mollets, meurette ou une poule au pot.

B — Vous avez tellement raison que le couteau qui a tué Henri IV aurait pu aussi bien servir à faire la cuisine !

A — C’était sans doute un couteau de cuisine !

B — Je suis tellement convaincu par tout ce que nous venons de dire qu’il faudrait, je crois, apprendre à tout nouvel immigré à cuisiner la poule au pot.

A — Avec un bonnet du forme sur la tête.

B — Oui, parce que l’idée c’est de…

A — C’est de quoi ? L’idée c’est de, l’idée c’est de…Mais qui a bien pu se dire un jour j’ ai l’idée d’avoir une idée ?

B — Peut-être le type qui est passé du casque à pointe au bonnet du forme…