Le cheminement écologique

Le cheminement écologique

22 août 2024 Non Par Paul Rassat

« L’écologie est un cheminement » déclare Jean-Luc Delpeuch, président de la communauté de communes du Clunisois. De quoi donner envie de le rencontrer parce que la notion de cheminement fait bien plus sens que celle de transition. Celle-ci dit que l’on traverse une phase pour aller vers un but prédéfini. Or notre société, la nature, nos relations évoluent à chaque instant. Le cheminement correspond à une façon d’être plus qu’à une destination, que l’on aurait de toute façon à dépasser. Nous rejoignons ainsi la conversation avec le poète académicien Michael Edwards : il faut vivre en poète pour, éventuellement écrire de la poésie. Et ce n’est pas parce que l’on se déclare écologiste, que l’on en arbore les attributs, comme le vélo ou certains éléments de langage, qu’on est véritablement écologiste.

Rencontre avec Jean-Luc Delpeuch

La rencontre a lieu chez Alain de Javel, maire de Massilly.

 — Est-ce que des études à l’École des Mines prédisposent à l’écologie ?

Mon passage à l’École des Mines remonte à fort longtemps. Pour le cycle civil en 79 et, après, le corps des Mines en 82.

La conversation aborde alors la réouverture du café de Massilly après les vacances du mois d’août.

La convivialité

C’est un lieu de convivialité qui répond à des questions fondamentales telles que doit les aborder l’écologie : comment on fait pour se déplacer, se nourrir, étudier. Il est possible d’y répondre de façon individuelle et consumériste, ou dans un esprit plus collectif par villages, par hameaux. Ces réponses plus collectives sont souvent plus « vertueuses » au sens de l’écologie. Il s’agit alors davantage d’une conséquence pensée et voulue. On ne part pas d’une injonction : «  Il faut que ça soit écolo pour que ça marche ». Le vélo, le covoiturage, la navette peuvent participer à un bouquet de solutions. La mobilité le montre bien : il est impossible de tout faire avec les transports en communs, ni tout le temps en covoiturage, ni à vélo. Et il n’est pas interdit de prendre sa voiture pour combiner tous les moyens de transport.

Des problématiques locales

Voilà l’esprit dans lequel on essaye de travailler parce que notre territoire est un tissu très peu dense, essentiellement rural. Nos problématiques ne sont pas celles des villes. Il y a aussi des choses qui se font presque spontanément. La notion de zéro artificialisation des sols est naturellement respectée depuis longtemps par des villages qui sont attachés à leur cadre et ne souhaitent pas se développer à outrance. Quand l’injonction arrive, on regarde comment on a pratiqué jusqu’à maintenant et comment continuer à l’avenir tout en restant accueillants.

Valoriser l’existant d’abord

Comment trouver les points d’équilibre ?

À Cluny, par exemple, beaucoup de bâtiments ne sont pas vraiment utilisés. Il s’agit d’identifier ces ressources pour acquérir, rénover et louer, ou bien inciter à une acquisition par des particuliers qui n’en fassent pas une résidence secondaire. Certains villages comptent 40 à 50 % de résidences secondaires, ce qui n’est pas forcément la meilleure utilisation du bâti. Une connaissance plus précise de la situation permettra d’intervenir de façon plus efficace.

Croître et décroître simultanément

Entre la croissance et la décroissance, une meilleure utilisation de l’existant permet de ne pas construire ni ajouter d’éléments inutiles actuellement.

J’utilise assez peu le terme de décroissance. Pour l’avenir, des choses doivent croître, d’autres décroître, c’est un cycle normal. Il ne faut pas enfermer les choses dans des termes trop théoriques, trop conceptuels si l’on ne veut pas braquer tout le monde. La décroissance, la sobriété ne sont pas des étendards à brandir. Les gens qui subissent des situations de précarité contrainte ne seront pas mobilisés par ces termes, ils peuvent même y voir une forme de provocation. Il faut éviter de cliver.

La richesse de la diversité

C’est mon 3ème et dernier mandat. Il a vu le lancement d’un projet de territoire. Jusque là nous faisions beaucoup de choses mais pas toujours dans un cadre concerté. Lors des élections municipales, on est élu sur un programme que l’on met en œuvre. Au niveau d’une intercommunalité, les gens se découvrent au sein du conseil communautaire après qu’ils ont été élus dans leurs communes. Il y a une grande diversité d’opinions…

Deux questions fondamentales à la réflexion

C’est la vraie cohabitation.

Oui, et se pose alors la question de construire le projet pour celles et ceux qui veulent présider. D’où une longue série de réunions avec les habitants, les conseillers municipaux, toutes les parties prenantes pour réfléchir à quoi faire ensemble. Nous avons posé deux questions : «  De quoi êtes-vous fiers ? De quoi avez-vous peur ? » Deux questions simples qui marchent à fond, que vous soyez de gauche ou de droite. Ces questions sont nées assez naturellement de nos premiers échanges.

Fierté et collectivité

Ces deux questions permettent de parcourir tout le champ de réflexion et d’action. En leur répondant, il doit être possible de prévenir certaines dérives politiques.

Exactement. Nous avons beaucoup travaillé par voisinages, des villages qui partagent le même groupe scolaire, par exemple. Très vite, les gens parlent d’un système de chauffeur bénévole mis au point dans leur commune à disposition des personnes âgées. D’autres parlent de leur café associatif, certains sont fiers qu’un groupe de jeunes se soit installé dans le village pour reprendre une ferme…Presque tout ce qui alimente ces fiertés relève de démarches collectives, associatives, de bon voisinage.

Cheminer à vélo

Les peurs partent de situations concrètes

Il est très important de partir de ce qui est positif.

Et qui rejoint la convivialité. Quant aux réponses à la 2 ème question , elles touchaient toujours à l’avenir des enfants ou petits-enfants. Une projection sur la génération qui suit avec des préoccupations de ce genre : il n’y a plus d’eau à la source, le niveau de la rivière est très bas, les prairies sont cramées, les arbres sèchent. Des choses très concrètes. On ne théorise pas sur le réchauffement climatique, ce sont des constats qui suscitent de l’inquiétude, comme l’isolement, la précarisation, les préoccupations concernant la santé et les soins.

Le besoin d’être entendu

Ne pas répondre à ces inquiétudes peut, comme on l’a dit, conduire à des dérives politiques, à des fantasmes.

C’est ce que j’ai constaté lorsque des citoyens m’ont demandé de présenter ma candidature aux législatives et que j’ai appris à mieux connaître certains secteurs de la circonscription. Le tractage sur les marchés permet d’engager la conversation. Les gens en profitent pour lâcher tout ce qui les préoccupe. Ils disent leur détresse d’isolement, de services qui ferment autour d’eux, leur souffrance de ne pas être considérés, ou bien perdus dans le monde numérique.

La culture du partage dans les faits, pas seulement dans les mots

Plus le tissu social se délite et plus on parle de « faire société »

Le lien entre les gens qui se réfugient  vers le RN et ce sentiment d’isolement est très direct. La déception, la frustration y contribuent aussi. Il est donc important de leur apporter des solutions. Les inquiétudes varient d’un coin à un autre car les contextes sont très divers, il nous a fallu nous appuyer sur les réalisations suscitant de la fierté. À Chevagny-sur-Guye les gens sont fiers de leur culture du partage. Quand on leur demande en quoi elle consiste, ils citent les trois véhicules achetés par la commune, un 9 places, un fourgon et une voiture citadine mis à la disposition des habitants moyennant un système de réservation et la prise en charge du carburant.

 S’appuyer sur le positif 

Nous avons retenu les idées qui pouvaient inspirer d’autres communes. Ailleurs, les problématiques sont différentes. Joncy se trouve à la limite de la communauté de communes et il s’agit pour les habitants de relier la communauté de communes voisine. Nous leur avons facilité la tache, alors que le découpage administratif était un obstacle. Ils ont pu aller au marché de Saint-Gengoux, d’abord, puis au cinéma à Montceau-les-Mines… Ce que nous avons expérimenté là, nous pourrons le réaliser ailleurs si  nécessaire, avec des moyens relativement modestes.

Un programme original, sans apports extérieurs

Vous n’avez pas plaqué un projet ; il est né des besoins réels de ce territoire.

Ce projet est né de beaucoup de réunions. Nous aurions pu-ça se fait beaucoup ailleurs-prendre un consultant qui serait passé interviewer les maires, les habitants pour dresser un catalogue dans lequel nous aurions pris ou non certaines propositions. Pour nous, zéro consultants, beaucoup de réunions, je le répète, dont l’animation a été assurée par les élus.

Les bienfaits d’une approche pluridisciplinaire

Vous n’avez pas eu recours à la fameuse « boîte à outils ». Sur le bas-côté, entre Massilly et Cluny, un panneau porte la mention «  Fauchage raisonné. » L’écologie raisonnée est pas mal, elle aussi.

Oui, mais si je reviens à l’École des Mines, en 82 l’écologie n’y était pas sur le devant de la scène. J’avais choisi cette école parce que la formation y était pluridisciplinaire, avec beaucoup de sociologie, d’économie, de sciences naturelles. J’avais choisi l’option biotechnologie, en lien avec l’Agro. Tout ne reposait pas exclusivement sur les sciences exactes. Mon travail de fin d’études portait sur la biomasse, les façons de fixer le carbone à partir d’algues unicellulaires. L’École des Mines m’a donné une ouverture d’esprit, l’idée qu’une discipline à elle seule ne suffit pas à résoudre les problèmes.

D’abord, étudier et comprendre l’humain

Vous aviez sans doute une personnalité déjà tournée vers la transversalité.

L’École des Mines m’a permis de développer et d’exercer cette disposition personnelle. Bruno Latour est arrivé dans le domaine de la sociologie alors que j’étais étudiant, avec autour de lui Lucien Karpik et d’autres. J’ai suivi tous les cours de sociologie imaginables afin de comprendre comment les humains réagissent individuellement et collectivement, comment naît l’innovation. Toute ma vie personnelle, citoyenne ou professionnelle en a été nourrie. Ainsi que ma capacité d’écoute.

La transversalité pour éviter le clivage

Elle participe à l’approche que vous décrivez et qui se trouve à l’inverse de l’écologie clivante.

Nous regardons de façon transversale et partons des besoins. À Cluny nous avons accueilli très chaleureusement ce qui a été appelé Les journées des nouvelles pensées de l’écologie, qui est devenu  pour la 2 ème édition Le printemps à Cluny, ce qui me convenait mieux. S’y retrouvent des gens de bords écologiques différents. Leurs débats portent sur «  le peuple écologiste ». Il y aurait donc des gens qui seraient de ce peuple, et d’autres qui seraient d’autres peuples ! C’est l’occasion de créer des oppositions, des clivages. Augmenter le Smic serait contraire à la sobriété, donc mauvais pour l’écologie !

On parle parfois de films tournés à hauteur d’homme ; l’écologie devrait toujours être à hauteur d’Homme. Et Jean-Luc Delpeuch repart à vélo.