Le Français face à l’anglais
23 août 2023« Le Français face à l’Anglais : aspects linguistiques » est une publication de Michael D. Picone. Vous pouvez la lire sur le site Persée. Le livre de Michael Edwards, en photo, est un oxymore en lui-même. Il dépasse la notion d’opposition entre les deux langues.
Nommer
« Effectivement, l’anglais semble bien répondre aux exigences d’une culture occidentale qui, se caractérisant plus que jamais tant par la mise au point de nouvelles techniques que par la production, la commercialisation et la consommation de nouveaux produits, éprouve, de ce fait, un grand besoin de nomenclature.
Or, historiquement, il est clair que l’extension de telle langue dans le monde et le recul ou l’extinction de telle autre sont attribuables avant tout à la domination technologique, économique et politique, ainsi qu’au prestige culturel de la civilisation associée à la langue dominante…
Analyser
Langue analytique, le français préfère, notamment, l’ordre de modification «progressif», allant du déterminé au déterminant (gel nucléaire, pluie acide), parce que, selon cette formule, l’idée « espèce » figure d’abord, avant qu’intervienne l’idée associative. Par contraste, l’anglais est synthétique en ce sens qu’il brouille la hiérarchie de l’association en la renversant par l’ordre de modification «régressif», allant du déterminant au déterminé: nuclearfreeze, acid rain…
Ainsi l’ordre de modification régressif, qui est typique en anglais, correspond à une démarche synthétique, alors que l’ordre de modification progressif, qui est typique en
français, correspond à une démarche analytique…Or, il est manifeste que les notions d’analyse et de synthèse forment une opposition naturelle, ce qui n’est pas sans intérêt lorsqu’il est question de la concurrence entre deux langues. »
L’invention lexicale
L’auteur pense que la langue française vit une crise. Les emprunts à l’anglais n’en sont qu’un volet. Il s’agit de faire sauter certains verrous qui freinent l’invention lexicale alors que notre société se doit de suivre le rythme des innovations dans tous les domaines. Que de choses nouvelles à nommer !
Et puis le français apparaît comme une langue rigide, très contrôlée, ce qui en réduit le charme.
Trouver un compromis ?
« Le français évolue. Il ne s’ensuit pas qu’il meurt. Au contraire, il est bien possible que cette évolution soit nécessaire à sa survie. Pour tous ceux qui aiment la langue française et lui souhaitent un avenir dans le monde, la présente hyperactivité néologique, y compris des formes hybrides et bâtardes, est un bon signe. Car cette hyperactivité témoigne du fait que le français, c’est-à-dire les Français, sont à la hauteur du défi lexicogénétique. Le français édifie sa défense avec énergie. Peut-être le français finira-t-il par se transformer, pour accepter de devenir plus synthétique. Faute d’une telle transformation, il risquera de ne garder sa pureté qu’aux dépens de son avenir dans le monde. »
Une langue qui associerait pour les équilibrer la synthèse et l’analyse, le contrôle et l’inventivité ?
La langue et la réalité
Contrairement à ce qu’avancent certains lexicologues, la langue n’est pas simplement un outil. Elle ne décrit pas le monde, elle l’invente. Elle participe pleinement de notre relation au monde, de la construction de « notre » réalité. Hassan II avait demandé, dans les années 80, aux professeurs qui enseignaient le Français au Maroc, de se limiter à en faire un outil de communication, pas la construction d’une pensée. Celle-ci aurait pu se révéler critique pour le pouvoir royal. Marc-Alain Ouaknin souligne le rôle primordial de la langue dans la construction et l’interprétation de la réalité. Nommer et analyser sont liés.