« Le jardin secret », un merveilleux album de Maud Begon

« Le jardin secret », un merveilleux album de Maud Begon

6 juin 2021 Non Par Paul Rassat

Une merveilleuse inspiration

 Maud, »Le jardin secret » de Frances Hodgson Burnett avait été adapté de nombreuses fois pour le cinéma ou la télévision. Vous aviez donc une motivation très prononcée et personnelle pour reprendre cette histoire.

Je ne connais que le livre, que j’ai découvert un peu par hasard en achetant un coffret comprenant deux romans de la même écrivaine. J’ai adoré l’histoire. Malgré mes dix-neuf ans à l’époque, j’avais gardé ma sensibilité de petite fille et j’ai été marquée par la magie que comporte le  récit. Une magie sans aucun élément fantastique. La première partie que je rends à travers cet album va de mystères en mystères dont l’intérêt perdure à travers toutes les lectures que j’ai pu en faire et même lors du travail qui a suivi. Je me souviens parfaitement de la première lecture et du plaisir d’enfant qu’elle m’a procuré. Je lis énormément, lors de cette lecture tout était merveilleux.

Un jardin secret mais tous publics

Cette histoire s’adresse à tous les publics. C’est aussi ce qui la rend particulièrement profonde. Philip Pullman avait refusé un prix de littérature jeunesse en affirmant que les catégories littéraires ne sont pas liées à l’âge des lecteurs.

Je partage cet avis. « Le jardin secret » m’a apporté beaucoup de joie en tant qu’adulte. Il est dommage de cloisonner par tranches d’âge. D’ailleurs, quand j’ai proposé le dossier à l’éditeur, je n’avais pas envie de dire que c’est un classique de la littérature jeunesse alors que le livre avait été publié d’abord dans le cadre de la littérature pour enfants. Je n’ai pas du tout pensé  l’adaptation que j’ai réalisée en fonction des enfants.

Maturation et déclic

Vous y retrouvez ce qui fait votre monde personnel ?

Cette histoire m’a accompagnée pendant plus de dix ans avant que je commence à travailler sur son adaptation il y a six ans. Le roman faisait partie de mes livres de chevet. Lors d’une discussion avec une amie, je disais que j’aimerais revenir à l’écriture de scénarios. Je venais de commencer la série « Bouche d’ombre » qui a occupé mon travail de 2014 à 2019. Je cherchais ce qui prendrait la suite sachant que j’aime la littérature et les romans anglophones. Jane Austen ? Et cette amie me répond qu’elle adore « Le jardin secret ». Le déclic s’est  fait à ce moment-là. Petit à petit je me suis mise à dessiner. S’il m’a fallu six ans pour travailler réellement sur cette histoire, c’est que j’étais toujours engagée sur d’autres projets comme illustratrice.

Liberté et créativité

Est-ce qu’il est moins gratifiant d’être illustratrice que de maîtriser toute la création d’un album ?

Ce n’est pas moins gratifiant, mais ce sont des exercices différents. J’ai plus de plaisir lorsque ma liberté est complète.

Cette liberté se ressent à la lecture. On partage une sorte de danse poétique. Avec les fleurs, le mouvement, vous nous menez dans un labyrinthe, un puzzle dans lequel peu à peu les pièces trouvent leur place.

Le mot « danse » convient bien. C’est un aller-retour entre le texte d’un côté, ma planche de l’autre et une progression de croquis pour avoir ne serait-ce qu’un découpage qui naît du mouvement des cases. Effectivement, il y a l’idée d’un puzzle, d’un rythme à trouver.

Il y a aussi une très forte symbolique. Le rouge-gorge est une métaphore, le double de l’héroïne.

Ainsi qu’un guide et une clé. Je travaille au tome deux et y développe des analogies qui figurent dans le livre de Frances Hodgson Burnett. Le rouge-gorge représente la liberté, ainsi que les animaux que l’on retrouvera dans la deuxième partie et qui ne subissent pas les contraintes des personnages.

Liberté et contraintes

Vous parlez de contraintes. Quand Mary est entourée de serviteurs, quand tout lui est donné, elle est insupportable. À partir du moment où elle fait des efforts pour répondre à une motivation personnelle, elle évolue. Il y a une dimension initiatique.

Elle arrête d’attendre qu’on lui apporte les choses, elle devient active, entreprenante.

S’il faut apprendre par soi-même, on peut supprimer l’école ? (rires)

J’aimais bien l’école. Quand c’était barbant, je dessinais. Le dessin permet de mieux fixer les connaissances. Je me souviens parfaitement de Baudelaire, de  « Spleen » alors que mes notes étaient exclusivement des dessins.

Vous avez toujours eu ce penchant pour le dessin ?

Les adultes ont trouvé que je dessinais bien alors que j’étais toute petite. Ce regard a joué un rôle.

La notion de fidélité

Comment adapte-t-on une œuvre ? Est-ce qu’il faut lui être fidèle ? Et si oui, qu’est-ce que ça signifie ?

Je me suis autorisé toute liberté. J’ai accentué le mystère, le côté magique pour rendre l’émerveillement de ma première lecture. Pour rester très fidèle au roman en proposant ma propre lecture je suis  partie de la version originale en anglais. Une version française aurait pu me détacher du texte, de son originalité.

Aucune inquiétude à ce sujet. On retrouve aussi l’émerveillement pour des tourbières dont la beauté échapperait à bien des gens. Et puis situer un jardin secret dans cet environnement constitue une mise en abyme.

Le roman dit que la beauté des landes, des tourbières est secrète. Elle est réservée aux initiés, comme le jardin.

La force de vie

Un autre aspect est intéressant. Les liens entre Mary, son cousin qui vit caché et le garçon qui parle aux animaux constituent un jeu de correspondances très riches. Chacun s’enrichit de l’autre.

Ma Mary a une force de vie très prononcée. Elle représente ces enfants qui, devenus adultes, gardent une capacité de création importante. Ces enfants victimes de maltraitance ou de négligence qui créent leur bonheur. En réalité cette force de vie n’a pas d’âge.

La discussion porte alors sur le tome à venir, la notion de temps, la construction plus complexe…de quoi donner envie de poursuivre la lecture en compagnie de Mary et de Maud Begon.