Le managérat, une faillite récurrente vue par François Dupuy

Le managérat, une faillite récurrente vue par François Dupuy

3 août 2021 Non Par Paul Rassat

Vu par François Dupuy, le managérat donne le volume 2 de Lost in management intitulé La faillite de la pensée managériale. Lecture très libre de ce livre.

Le managérat, une fausse science

Le managérat « tourne en rond ». Questions et problèmes y sont récurrents alors que tout le monde semble chercher des solutions. La « science du management » n’existerait pas. Ce serait bien davantage du bricolage plus ou moins lié à ce qui passerait pour du bon sens. Cette approche basique permettrait de faire face (expression que Talpa adore !) à une immédiateté plus qu’à la prise en compte de la complexité des situations. C’est ainsi que circulent des formules venues de nulle part. Elles sont liées à cette paresse intellectuelle qui esquive la complexité et forme l’opinion commune. Parmi ces formules, la fameuse « résistance au changement. De la résistance à la réforme des retraites au Gaulois réfractaire au changement.

Le changement, ça change.

Et c’est ainsi que, puisque résistance au changement il y a, les responsables ( les autres seraient-ils irresponsables ?) se doivent d’imposer le changement en question. On cherche alors à briser la résistance du Gaulois plutôt qu’à traiter le problème de façon pertinente. Le changement recherché est-il bénéfique ? À qui ? Le changement devient le leitmotiv des dirigeants. Le changement pour le changement.

Absence de culture générale, réactivité stérile et vision univoque

Ce cercle vicieux est dû à l’absence de culture générale. Seule celle-ci permet de donner le recul nécessaire à la prise de décision. Son absence pousse à réagir sur la base des émotions et des sentiments. Écoutez les « Pour moi…Moi, personnellement je… » Sans recul, nous croyons vivre « une période exceptionnelle », nous croyons que « le monde change de plus en plus vite qu’il n’a jamais changé. » Or le passé est riche de ces périodes de bouleversement.

Vision univoque

 À l’immédiateté de nos réactions s’ajoute une conception univoque du monde liée à la notion de progrès.   Des chercheurs du XX° siècle, en s’alignant sur les prétentions de l’homme moderne, ont concouru à nous détourner de notre capacité à faire attention aux histoires divergentes, stratifiées et combinées qui fabriquent des mondes. Obsédés par la possibilité d’étendre certains modes de vie à tous les autres, ces chercheurs ont ignoré tout ce qui se passait par ailleurs. » Le champignon de la fin du monde (Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme) Anna Lowenhaupt Tsing.

« Notre route est droite, mais la pente est forte »

Cette raffarinade confirme l’absence d’originalité. «  Quant aux enseignements…Ils sont « avalés » par un « référentiel dominant » qui n’est pas celui de la connaissance élaborée, mais bien celui de  la « connaissance ordinaire », de la rhétorique mortifère du « concret et du sentiment partisan. »

Ultrasolution

(Inspiré du livre de Paul Watzlawick Comment réussir à échouer.)

L’ultrasolution est le plus souvent la pire des solutions possibles, celle dont l’évidence s’impose pourtant, empêchant ainsi toute vraie réflexion. La solution adoptée ne s’est pas montrée efficace ? C’est qu’elle n’était pas suffisamment dosée. Il faut donc aller plus loin dans la direction qui, à l’évidence, s’impose.

Paresse, conformisme et confusion

Cette paresse intellectuelle entretient un conformisme inefficace et la confusion entre structure et organisation. Les « réformes » proposées touchent aux structures. Plus ou moins d’employés. Budget plus ou moins important. Qu’en est-il de l’humain ? De la véritable formation ? Des valeurs d’entreprise ? Nous rejoignons ici Christian Morel. On empile des règles, des contraintes sans chercher à percevoir la « compréhension de l’utilisation qu’en font les acteurs. » Et puis, comme on tourne en rond, on désigne régulièrement quelqu’un pour résoudre les problèmes.

Les valeurs et le vide sémantique

Les fameuses valeurs que tout dirigeant invoque ne parviennent pas à faire prendre la mayonnaise. François Dupuy cite les 4 « valeurs » mises en avant par la société Thales.

— être à l’écoute des clients

— en équipe améliorer notre performance

— innover

— développer nos talents

A propos desquelles il cite Ray B. Williams « …la plupart de ces prétendues valeurs…sont à peine plus qu’une compilation de platitudes et de mots d’ordre. » Comment promouvoir l’innovation alors que l’on multiplie les règles et les procédures ? L’esprit d’équipe ? Il n’est même pas enseigné à l’école. Il est hérité du monde sportif dans lequel les règles et l’organisation sont différentes.

Schizo ma non troppo et valeur du boulot

Il naît de cet ensemble de contradictions une douce schizophrénie qui parfois dégénère. On s’en protège par l’hypocrisie d’abord, le renoncement à être vrai ensuite. À être soi. À s’épanouir au travail. Et c’est alors que, afin de boucler la boucle, on parle de la « valeur travail ». Un couple de propriétaires célébrait ses20 ans à la tête d’un hôtel-restaurant. Soutenus par leur engagement humain et social, ils cherchaient à développer davantage encore un esprit d’équipe. C’est rare. La députée du coin, son tour de parole venu, s’employa à dénoncer ces jeunes qui ne veulent plus travailler, qui ne connaissent pas « la valeur travail ». Contre-sens total sur la notion de travail, de valeur et le lieu exemplaire où elle tenait son propos. Et c’est ainsi que nos dirigeants nous dirigent sans savoir eux-mêmes s’orienter.

Motivé, motivé…

Cerise sur le cake, la fameuse lettre de motivation qui culmine parmi les exercices de faux-cuisme et de renoncement personnel. Avec les RH, il semblerait qu’on ait réussi à remplacer les Relations Humaines par les Ressources Humaines. C’est que le managérat a de la ressource.

« L’homme doit être au centre de tout »

Oui, non ? Difficile. «  Après y avoir mis le client, on chercherait à y remettre l’homme, c’est-à-dire les salariés. » Et comme toute entreprise est endogène, c’est-à-dire naturellement tournée vers l’intérieur, elle risque de se couper du monde. Toujours cette vision binaire et ce refus de la complexité. Se rappeler les polémiques quand il a été décidé de mettre l’élève au cœur de l’enseignement ! Pour les uns le savoir primait, pour d’autres la discipline. Pourquoi ne pas tout prendre en compte ?  Il est d’ailleurs certain qu’une transmission réussie est une transmission réciproque. Elle doit enrichir l’enseignant et l’enseigné pour demeurer vivante et évolutive. Elle se doit d’être complexe.

À propos de raffarinade      

J’vous ajoute un peu d’humain?”. Non, ce n’est pas une réplique de film pornographique. Un premier ministre est allé constater un jour qu’il y a de l’humain ajouté chez Michelin. Comme des morceaux de fruits dans le yaourt ? Il faut dire que chez Michelin, l’humain tient la route, fait de l’usage et va bon train. Mais ajouter de l’humain à l’humain, ça donne quoi ? De l’obèse ? Du surhumain ? On connaissait déjà la valeur ajoutée à un produit. L’humain deviendrait-il un produit ? Sera-t-il côté en bourse ?  Du pneu au tour de taille humain, on connaissait. Mais l’inverse, de l’humain dans le pneu, c’est nouveau! De l’humain dans la guerre ? Avec frappes chirurgicales, effectuées après anesthésie à la propagande massive. Des bombes propres, pour éviter un boulot dégradant aux femmes et hommes de ménage.

De l’humain dans les relations humaines ?