Le présent, moi, le monde, la réalité

Le présent, moi, le monde, la réalité

22 décembre 2023 Non Par Paul Rassat

Le présent n’existe que dans la pensée et dans l’énonciation. Il est ce moment d’énonciation qui nous ancre dans le monde. Organisation mentale que traduit mal la grammaire enseignée au collège. Si vous dites : «  Hier, je suis allé au cinéma. », ce « hier » n’existe que par rapport au moment où vous parlez de lui, dans cette relation avec un hier qui n’existe que parce qu’il y a un maintenant. Et inversement. Dans cette relation, l’évenement passé est exprimé au passé composé. Mais  si vous déclarez : «  La bataille de Marignan eut lieu en 1515 », vous devez utiliser le passé simple car ce fait n’est pas ancré, il n’a pas de relation avec un quelconque moment d’énonciation. Il est totalement indépendant de vous. On a longtemps cru qu’il fallait utiliser le passé simple pour faire chic. À tort.

Dessin de Franz Schimpl, que Talpa nomme  » Le présent échoué ».

Moi

Le présent du moi, ou le moi du présent, est le canal qui nous relie au monde. Au monde davantage qu’à la réalité car la naissance est une venue au monde. La réalité était là avant. Elle sera là après. Notre présent correspond à la conscience de soi, qui n’existe que dans sa relation au monde, elle-même en prise avec la relation au monde. Peut-être la réalité est-elle ce donné objectif sans affect que nos responsables nous enjoignent de regarder en face. Plus ils nous l’ordonnent et plus, en compensation, nous plongeons dans nos affects. Certains s’y noient dans un « partage d’émotions ». Dans une instantanéité à laquelle se réduit leur présent.

Nuances

Amusez-vous à écrire cette phrase au discours indirect : «  Il cherchait à savoir — Es-tu venu hier ? » Ce qui donne «  Il cherchait à savoir s’il était venu la veille. » et non « hier ». Question d’ancrage par rapport au moment où s’exprime le locuteur. Nous sommes assez loin d’un «  Je me demande c’est quoi » qui mélange les discours direct et indirect. Ne pleurons pas sur la faute grammaticale mais plutôt sur cette relation au monde faussée. Aussi bien que lorsqu’une journaliste demande «  C’est quoi être un bon parent ? ». Ou une autre « C’est quoi être jeune aujourd’hui ? » Ce questionnement frontal exclut toute nuance. Cette langue fait le lit des caricatures de la pensée qui mènent aux affrontements. Ne parlons même pas du discours indirect libre seul propre à traduire toute la complexité de pensée d’un Marcel Proust.

Un moi doit être ouvert ou fermé

Aucun élitisme là-dedans. Uniquement la volonté de traduire le plus profondément sa relation au monde. Un moi foisonnant, en perpétuelle conversation et progression qui cherche toutes les nuances enrichissantes. Ou bien un moi figé, fermé et subissant. Un moi qui limite sa conscience aux data qui en définissent les contours. Une ébauche manipulée, programmée, répétitive et commercialement exploitée. À l’opposé de cette relation contrainte à des data, d’autres tenteront ( par l’art ?) d’accomplir l’aventure que constitue leur relation au monde.

Faux et vrai ancrages

«  Il est venu cet après-midi. — Il est venu cet après-midi-là. » La première phrase signifie que l’après-midi s’insère dans le jour le énonciation. La deuxième dit que c’est l’après-midi d’un jour précédent. Deux formulations qui traduisent des temporalités différentes. Que l’on confond de plus en plus, comme les discours direct et indirect, au point de mettre des-là après toutes sortes de mots : ce problème-là, cette histoire-là, cette politique-là… Nous vivons dans un là-là-là land (anglosaxonisé). Il faut marteler ce-là pour montrer que l’on existe. Sentiment de plus en plus volatil(e) à cause de la délocalisation, de la mondialisation, du métaverse, de l’informatisation, de l’IA. Il faut donc poser des actes forts, dire des paroles fortes. Et même poser ses vacances ! De peur qu’elles ne s’envolent. Ces -là poursuivent insidieusement leur chemin jusqu’à «  On est chez nous » et peut-être  jusqu’à «  On est chez nous, là. » Sorte de pléonasme identitaire.