Le tact
10 décembre 2023Voici quelques passages tirés du livre de Gilles Hanus Éloge du tact. Et les réflexions suscitées par cette lecture.
Une forme de liberté
« Le tact se niche dans ce jeu entre explicite et implicite, dans ce vacillement entre déplier et replier, dans cette oscillation entre déployer et reployer. Il redonne en quelque sorte de la vigueur au pli, en repliant ou en reployant les situations, conscient que le pli, intégralement déployé, finrait par s’effacer et qu’entièrement refermé il se confondrait aux surfaces qu’il articule et disparaîtrait également.. Le tact vise alors à préserver le pli, à permettre à une situation réelle de redevenir occasion, suggestion et non simplement fait fatal. Il est une réponse vive au tragique de l’existence, un retour aux interstices qui bordent les arêtes des massifs de réalité… Ainsi le tact et non l’affirmation de soi, la persévérance dans l’être, l’égalité à soi-même dans l’altérité… -se donne-t-il comme l’éclat d’une lumière réservée, d’une liberté qui ne s’impose pas, mais qu’on évoque pour la convoquer… »
Le nécessaire espace
« Parler et penser avec tact, refuser la tentation et le confort de la pensée « massive », des énoncés définitifs, « à la majuscule » selon la belle expression de Benny Lévy, non tant parce qu’ils seraient nécessairement faux que parce que leur massivité même masque la part de vérité qu’ils contiennent et expriment, parce que leur circularité les ferme sur eux-mêmes…Le tact consiste ainsi à ne pas confondre « volume » et « réalité », à laisser un peu d’espace à la finesse, à ménager au cœur du réel une poche de vide, un surplus propre à empêcher toute saturation. »
Le tact et le vide
Ce vide relève peut-être de la gratuité. Au début de son livre, Gilles Hanus cite un exemple : retenir discrètement la porte qu’une personne en colère et / éméchée claque derrière elle. Geste gratuit, invisible. Vide qui s’insère pourtant dans le tissu de la réalité et en assure la continuité. Nous rejoignons Nietzsche « Il n’y a pas de faits, que des interprétations ». Nous sommes des êtres quantiques qui existons dans la danse des particules et des interprétations d’un réel que l’on nous enjoint de regarder en face. « Lève les yeux ! Regarde les faits ! » Ce réel-là nous fige ; il manque cruellement de tact, de gratuité, de jeu, de plis. Il nous est imposé comme univoque, emporté sur la voie d’un progrès tout tracé.
Le tact et l’allègement
Comme toute œuvre intéressante, L’allègement des vernis est une ouverture à la réflexion. La question de la réversibilité y est posée. Il y serait donc question de tact. Lors de son passage à Annecy, Paul Saint Bris répondait à une question venue du public. Non, ce livre n’est pas autobiographique ; mais l’auteur est dans chacun de ses personnages. Il est des « je », comme celui de Rousseau ou de Rimbaud, qui dépassent l’égocentrisme ; certains écrits, à l’opposé , sous couvert de modestie, ne parlent que de l’auteur . Paul Saint Bris serait-il La Joconde allégée de lui-même ?
Manque de tact
« Jeter de la soupe sur des œuvres ou défendre ceux qui jettent des boules de pétanque sur des gendarmes, c’est lutter contre le dérèglement climatique ? » C’est ce qu’écrit Christophe Béchu. Il a raison de s’interroger. C’est montrer bien peu de respect pour les boules de pétanque. Et oublier les vitres qui protègent les œuvres d’art de la soupe, c’est sauter un intermédiaire important. Mais ces actes condamnables ne se produiraient pas si la notion de tact était mise en œuvre par nos dirigeants. La réversibilité des décisions. L’ouverture de la réflexion. La prise en compte de toute la chaîne des causes et des effets. Si, malheureusement, des boules de pétanque sont jetées sur « les forces de l’ordre » ne serait-ce pas, parfois, parce qu’on leur demande de protéger des décisions et des actions discutables mais pas suffisament discutées ? Alors, tu la tires ou tu la pointes ?