L’écologie fun de Jean-Louis Étienne
1 novembre 2021L’avant dernier weekend d’octobre se tenait Le Grand Bivouac à Albertville. Jean-Louis Étienne y était invité pour parler de son livre Explorateurs d’Océans, pour parler d’écologie…Talpa a gardé la substantifique moelle de son entretien avec Fabrice Gabriel. Il y a été question d’écologie fun. L’expression est particulièrement intéressante dans un pays qui, entre l’éducation et la contrainte, a toujours choisi l’éducation à la contrainte. Pourquoi alors s’étonner des réactions des « vraies gens » ?
Se révéler en explorant le monde et soi-même
Le pôle nord en 1986 m’a révélé au public, avez-vous dit. Ça m’a surtout révélé à moi-même. C’était un engagement personnel. Je n’avais pas eu les notes pour entrer en 6°. Il n’y avait pas de place dans la section menuiserie. On m’a orienté vers l’ajustage sur métaux. Je suis devenu tourneur fraiseur. Je suis devenu ambassadeur de la formation professionnelle depuis. La reprise de confiance en soi dans le parcours scolaire me passionne. Même si on ne suit pas le chemin traditionnel. J’ai fait médecine, j’ai été interne en chirurgie et en orthopédie. Ma formation de tourneur fraiseur m’a aidé pour mettre des plaques, des clous, des broches. [ Le ton naturellement chantant s’anime d’accents fleurant l’humour].
Suivre son désir
Un regard rétrospectif fait apparaître très tôt ce désir de faire des expéditions. J’habitais dans le Tarn et j’étais immergé dans les montagnes par le désir, par le rêve, par les lectures de Frison Roche. Deux photos des environs de Chamonix ornaient les murs de ma chambre. Grâce à Frison Roche, je connaissais les noms de toutes les montagnes, de tous les refuges où je n’avais jamais été. À 14 ans, j’avais fait une liste de matériel pour aller camper seul dans les Pyrénées en hiver en partant d’un catalogue de La Hutte. Je fantasmais sur la tente isotherme.
Préserver sa liberté
Ce désir d’expédition est revenu alors que j’étais médecin, interne en chirurgie. J’ai donc proposé mes services de médecin pour participer à des expéditions pendant 12 ans. Il y a eu la navigation avec le père Jaouen, avec Alain Colas, Éric Tabarly, la course autour du monde, la face nord de l’Everest. J’avais abandonné la chirurgie pour la médecine générale et l’idée d’un cabinet pour effectuer des remplacements. J’avais la liberté de partir en expédition. Au bout de ces douze années, sur la face nord de l’Everest-je me souviens très bien de ce moment-je me retrouve seul au camp 2 alors que les autres sont au camp 6, bloqués par une tempête. J’allais avoir 40 ans et j’ai décidé que je devais faire mon histoire, mon expédition avant de revenir certainement à la médecine.
Dépasser ses frustrations
J’ai décidé que ce serait le pôle nord. Ce n’est pas technique. Pas besoin de stages pour apprendre à tirer un traîneau. Effectivement, le pôle nord en solitaire m’a révélé au public. Surtout parce qu’à la fin j’étais en train de mourir de faim. Vous êtes révélé surtout quand il y a un problème, en général. L’expédition a duré 63 jours. Avant le téléphone, avant le GPS. J’étais en immersion dans une solitude intense et un univers très dur. L’arrivée à été un véritable soulagement et m’a révélé que j’étais capable de faire moi-même les expéditions. Réunir les fonds, m’engager techniquement et réussir. Je garde cependant deux frustrations. J’étais demi de mêlée au Castres Olympique. Un accident de santé m’a obligé à arrêter le rugby, comme j’ai dû arrêter la chirurgie.
Être autodidacte
On est fait d’alternances, déjà physiologiques. Veille, sommeil. Diastole, systole. J’aime l’intensité de la solitude. J’en ai besoin pour réfléchir. Elle est constructive. J’ai appris à vivre avec moi-même depuis tout petit. Je suis autodidacte en tout. J’ai toujours été rassuré à l’idée qu’avec mes dix doigts je pourrais me sortir de toutes les situations. Je suis capable de faire une cabane, d’avoir des poules, un jardin et de voir venir. J’aime aussi le groupe. Demi de mêlée, chirurgien, ce sont des rôles singuliers. On n’a pas l’habitude de vivre avec soi-même. Tellement d’informations nous sollicitent, nous abreuvent sans arrêt. On en devient addict. L’intensité de l’information éphémère et sans graduation nous aveugle.
Construire son libre arbitre
Il est important de garder son libre arbitre. On le prend par la culture, par la connaissance du sujet plus que par l’émotion ou par la dispute. À vouloir animer le débat pour réveiller l’auditeur ou le spectateur, on en perd un peu le sens commun. Ce libre arbitre, cette culture sont nécessaires pour des questions comme celle du climat. La solution ne se trouve pas qu’en gueulant dans la rue. L’approche est ultra technique, ultra compliquée. Comment va-t-on passer rapidement de 80% de notre dépendance fossile à autre chose ? Ce n’est pas un bouton on/ of à l’Élysée ! La solitude permet de réfléchir et le groupe d’agir. Je suis un heureux solitaire qui aime le groupe.
Aller chercher la petite lumière
[Puisqu’il est question de groupe, Fabrice Gabriel aborde la question des rencontres qui ont marqué Jean-Louis Étienne. Celui-ci en cite plusieurs et décide d’évoquer le père Jaouen. Il recommandait d’aller chercher cette petite lumière toujours présente même chez les gens les plus cabossés par la vie].
Être acteurs de l’amélioration climatique et de l’écologie
Passer d’une énergie carbonée à une énergie décarbonée est extrêmement complexe. On a perdu du temps parce qu’on a fait de cette question un sujet de conversation populaire. Personne n’est capable de percevoir un réchauffement climatique de un degré en un siècle. Si la Terre est normale à 37 degrés, elle a une fébricule à 38. C’est le médecin qui vous parle. Une fièvre chronique s’est installée depuis 150 ans. Depuis qu’on s’est mis à consommer beaucoup de charbon, puis de pétrole et de gaz. En 2020, on a envoyée 43 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Seule la nature peut recapturer le CO2 grâce à la photosynthèse qui est le privilège des plantes sous l’action du soleil. Ce faisant, la plante nous donne de l’oxygène. D’où la nécessité de stopper la déforestation. Il faut mettre du vert partout. Pas qu’en politique.
Il y a du fun à être écolo
Chacun d’entre nous doit être efficace sur sa zone d’influence. Nous sommes des acteurs du climat. Soyons intelligents dans notre consommation de l’énergie à la maison, en famille, au travail. Il y a du fun à être écolo. Il faut trouver une voie qui permette de se dire « J’ai fait quelque chose. » Il faut se récompenser soi-même. Soyons des acteurs du changement climatique. La solution est technologique. On évolue vers l’électricité, mais celle-ci ne sort pas du mur. Il faut la produire ! On ne se rend compte de notre dépendance à l’électricité que lorsqu’il y a une coupure.
L’économie circulaire
L’hydrogène est envisagé comme réservoir d’électricité. Mais il n’existe pas par lui-même. Il est lié à l’eau, au méthane. La rue, pourquoi pas ? Mais soyez surtout les acteurs du changement ! On parle beaucoup de recyclage, le plastique ici… Le vrai recyclage consiste à construire, à fabriquer avec des matériaux qui seront recyclés à 100%. C’est ce qu’on appelle l’économie circulaire.
Explorateur jusque dans l’écriture
Écrire (activité si douloureuse dans le parcours scolaire) permet de revivre les émotions liées à ce que l’on a vécu et de trouver le mot juste. D’y ajouter un peu de nostalgie. Quand vous avez trouvé les mots qui ont le son, l’odeur, le sens… Écoutez Brassens, de qui on parle beaucoup en ce moment. En trois phrases il décrit une émotion extraordinaire. Pour moi, l’écriture est une exploration qui me demande beaucoup de temps. On revient au mot « explorateur » qui est présent partout dans ma vie.