L’Éditaupe#9 Google et les clés

L’Éditaupe#9 Google et les clés

20 janvier 2021 Non Par Paul Rassat

Dialogue de taupes

— La curiosité est le moteur du progrès.

— La paresse aussi. Elle nous oblige à être ingénieuses.

— Ce sont les clés de l’évolution.

— Mais pourquoi évoluons-nous ?

— Pour entretenir le moteur.

Clés

On oubliera vite la plaisanterie que constitue la clé des champs pour se pencher sur d’autres clés qui ouvrent ou verrouillent notre époque.

La triste clé d’étranglement a montré les limites humaines de son utilisation. Il est parfois étonnant qu’on en soit à débattre de la loi, du règlement adapté ou non, à respecter ou non, sachant à quoi a pu mener, au cours de l’Histoire, l’obéissance aveugle, consentie ou prétextée pour couvrir d’immondes fautes.

Mots clés et référencement

En termes de communication, les mots clés sont la clé redondante, pléonastique, la clé de voûte de l’expression, d’autant plus indispensables qu’ils facilitent le référencement du propos par le dieu Google.

Sans mots clés, point de salut, ni pensée.

Ces mots clés deviennent ce que l’on appelle à juste titre des éléments de langage tellement importants que bien souvent le langage se résume à ces mots clés qui martèlent un discours commun, basique, vulgaire.

Clés et politique

Le premier ministre, M. Jean Castex, avec une petite pointe d’accent chantant mais sans aucune pointe d’humour, se définissait à sa prise de fonction comme un Gaulliste social. Nous sommes en droit de nous demander-comme dirait l’autre- si l’expression « Gaulliste asocial » existe. Et M. Castex d’enchaîner. En tant que Gaulliste social, il pense qu’il faut créer de la richesse avant de la distribuer. Ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Un tien vaut mieux que deux tu l’auras. Rira bien qui rira le dernier. Il est même question-innovation linguistique ô combien osée !- de logiciel dans l’allocution de M. Castex. Bigre !

Mais la clé du propos de M. Castex est le très modeste verbe « distribuer » qui signifie aussi bien « répartir » que « donner avec profusion et un peu au hasard » (TLFi).

La véritable question, planquée derrière des mots clés bien ronflants n’est-elle pas celle de la distribution ? Et il ne s’agit ici ni des commerces ni des grandes surfaces.

Clés spirituelles

Demeure aussi la dimension symbolique de ces clés que l’on retrouve au Vatican, qui bruisse à l’occasion de rumeurs : on dit alors que le vaticancane, mais c’est une autre histoire. Se fondent ainsi le dieu Google et la papauté.

De l’importance de la clé !

À vous de trouver les mots clés

Des clés pour des serrures déjà ouvertes

Gérald Bronner, auteur de d’Apocalypse cognitive chez PUF rappelle que nous disposons de huit fois plus de disponibilité mentale qu’au début du 19 ème siècle. Que faisons-nous de ce temps libéré ? Nous utilisons notre téléphone ou bien nous regardons des videos de chats davantage que nous n’en profitons pour apprendre. Les mots clés, les algorithmes agissent pour renforcer le lien offre/demande. Pour répondre à nos attentes spontanées. Les pièges attentionnels captent notre disponibilité. Ils fonctionnent avec les ressorts de l’émotion afin d’éviter que nous différions la satisfaction de nos attentes. C’est que nous devenons pressés et exigeants ! Sexe, conflits, colère sont les axes de plus en plus fréquentés de la communication dont le marché dessine une anthropologie.

Vive la déception !

Antoine Compagnon, professeur au Collège de France, affirme qu’un professeur doit insatisfaire, décevoir. Il doit susciter des questions autant qu’apporter des réponses. Ainsi, il doit échapper à la pédagogie envisagée comme art de la répétition –au gavage- aussi bien qu’au tout aussi dangereux CQFD qui clôt bien des cours.

Au fond, ne faut-il pas aider les autres à trouver des mots afin qu’ils ouvrent eux-mêmes des serrures ? À différer sans procrastiner ? Différons pour nous différencier en apprenant à être nous-mêmes. Une expérience consiste à proposer un bonbon à un enfant. À lui dire qu’il en obtiendra deux s’il sait attendre un moment. Il paraît que ceux qui savent attendre ont davantage de chances de réussir leur vie.

Boîte à outils

Vous vous souvenez de la polémique autour des plombiers polonais qui envahissaient la France pour piquer le travail des Français ? La Pologne elle-même ne savait pas qu’elle comptait autant de plombiers. D’autres se souviennent du sketch de Fernand Raynaud sur les étrangers qui viennent manger le pain des  Français.

   Mais revenons à notre boîte à outils-expression très à la mode-qui se retrouve jusque dans le domaine des idées et du langage. Ces fameux éléments de langage qui réduisent la pensée en la limitant à quelques combinaisons.

Voici donc les éléments principaux d’une bonne boîte à outils adaptée à l’expression performante et connectée.

—  Les mots clés susceptibles de passer par le trou de toutes petites serrures de la pensée. Les clés deviennent alors des passe-partout.

—  Les vices, de pensée, bien sûr, accompagnés des tourne vices adaptés.

— Les boulons à syntaxe.

—  Les scies à répétition (car la pédagogie repose sur la répétition : ci-gît la pédagogie qui repose.

—  Le marteau piqueur d’idées.

—  La perceuse à clichés.

— La pelleteuse à idées usées jusqu’à la trame à fin de reconditionnement dans le cadre de la pensée circulaire et des circuits très très courts.

—  La fameuse raquette à trous pour filtrer les idées.

— La boussole à indiquer l’amont vers lequel se tourner afin de ne pas être pris de court. (Le court complétant naturellement la raquette).

—  La benne à ici ou bien à là (plutôt à là) afin de géolocaliser les travaux.

—  La grue faisant le pied ou non, suivant usage.

—  L’all geko adhérant à toutes les surfaces comme le globish.

Pour refermer la boîte à outils, quelques paroles qu’aurait pu chanter Jean Sablon :

Je tire ma référence

Et m’en vais au hasard…