Légendes céramiques, exposition au château de Menthon
8 septembre 2023Rencontre avec Alain Cervantes, collectionneur passionné et pédagogue pour parler de son exposition Légendes céramiques.
Légendes céramiques. Pourquoi ce titre ?
Des légendes accompagnent l’histoire du château de Menthon, cette famille qui descend d’un saint. Légendes aussi parce qu’il n’y a pas d’histoire de la céramique française.
Collectionner pour montrer
J’ai un plan de l’exposition. Mais il va falloir se coltiner la matérialité des œuvres : emballages, transport, déballage, poids et fragilité des pièces. Nous discutons de l’exposition neuf jours avant le vernissage et mon choix n’est pas définitif. La mise en espace des pièces est fondamentale, d’autant plus que je n’exposerai qu’une seule pièce de chaque artiste retenu. Il me faudra tenir compte de la lumière, des rapports des œuvres entre elles. Le troisième point important consistera à soumettre les œuvres au regard des visiteurs : c’est inédit, même si j’avais depuis plusieurs années le projet de montrer au public une sélection des pièces de ma collection.
Un nouvel intérêt pour la céramique
Un premier pas avait été franchi avec l’exposition de quelques pièces dans le cadre des Légendes botaniques au château de Menthon, grâce à Maurice de Menthon et aux deux commissaires d’exposition. L’un des intérêts de ma décision est de compenser l’absence d’exposition de céramiques contemporaines depuis très longtemps à Annecy. Or, la céramique est très tendance, expositions, articles dans les magazines lui sont consacrés. Il va même y avoir une grande première à Bruxelles en janvier prochain. Un salon dédié uniquement à la céramique contemporaine. La formule va ressembler aux salons du dessin qui sont désormais bien établis. Si elle est tendance, la céramique couvre un domaine tellement vaste !
De l’utilitaire au beau…
Un inculte en céramique peut-il imaginer le reste de la collection à partir des œuvres exposées ?
Le sous-titre est De la céramique savoyarde à la céramique contemporaine. Il représente un peu l’histoire de ma collection. Il s’avère que le château de Menthon a des collections de céramiques qui font partie du décor et rejoignent les débuts chronologiques de ma collection. Mes poteries vernaculaires sont utilitaires, anonymes. Elles datent du XIX ème siècle. Je les présenterai ensemble, sur tables. Le point qui m’intéresse consiste à voir comment on est passé d’une poterie utilitaire à une production artistique. D’où une pièce de Simonod qui est un entre-deux, un passage. Il lance en Savoie le concept de poterie artistique. L’ambition est d’ordre culturel, que tout le monde puisse profiter du beau. Mais le marché des pièces utilitaires est saturé à l’époque de l’entre-deux guerres. Les prix sont fixés. Il lance sur le marché une ligne de produits qui n’a pas encore de prix ! C’est du très bon marketing. La mise en parallèle avec une œuvre d’Aneta Regel permet de passer d’une sorte de régularité uniforme à une méthode qui valorise l’art du geste. Le travail de la matière est très violent. L’intérieur et l’extérieur ne se distinguent plus vraiment, pas davantage que la pâte et le décor.
Un bouquet de tendances
Cette conversation entre les 24-25 pièces qui seront exposées balaie tout l’éventail des tendances esthétiques, la variété des techniques. Une œuvre, par exemple, a été réalisée grâce à une imprimante 3D. Formations de céramistes, de plasticienne voisinent. Pièces florales évoquant des rituels seront de la partie. L’appréciation esthétique est forcément subjective mais la diversité des approches techniques est très intéressante. Un autre axe : l’éloignement de l’abstraction pour produire de l’art animalier, géologique. Un rapprochement de la nature qui évite la représentation humaine. Nous rejoignons les problématiques de notre société et de notre époque. Ce néo naturalisme n’est pas foncièrement heureux.
La passion d’Alain Cervantes n’a d’égal que sa connaissance de la technique, de l’évolution de la céramique. N’allons pas plus loin dans le propos.
Vous êtes invités à découvrir ces Légendes céramiques, au château de Menthon-Saint-Bernard du 15 au 24 septembre 2023.
Œuvres de Simonod, Regel, Castelly, Verdier
Index des artistes
BALLACCHINO Audrey, née en 1986 dans les Vosges, vit et travaille à Gigors-et-Lozeron dans la Drôme. Elle ancre sa démarche artistique dans ses origines siciliennes. Elle fait « des objets en porcelaine rococos inspirés des barbotines italiennes ». Elle a exposé récemment à la galerie NEC à Paris.
BOUBETRA Jessica, née en 1989, vit et travaille à Paris. Diplômée des Beaux-Arts de Paris où elle a assuré le commissariat de l’exposition Formes limites, elle a étudié la céramique au Japon et l’émail avec Marc Uzan. Elle a fondé, avec Jean-Baptiste Lenglet, l’atelier Lumierrante spécialisé dans l’impression 3D de céramique. Elle expose à la galerie Lefebvre & fils à Paris.
CASTELLY Marianne, née en 1977, vit et travaille à Bourdeaux dans la Drôme. Lauréate du prix de la jeune céramique européenne en 2013, elle était présente en 2022 dans les expositions
Toucher terre à la fondation Datris et Contre Nature au Mo.Co de Montpellier. Elle est engagée dans une pratique expérimentale de la céramique avec une approche libre mais rigoureuse.
CHARTIER-POYET Cyril, né en 1973, vit et travaille dans la région de Roanne, Loire. Lauréat en 2021 du Prix de la Résidence Tremplin décerné par le Centre Céramique de La Borne et C14 Paris. Son travail se caractérise par une économie et une vérité des moyens mis en œuvre.
CRULIS Patrick, né en 1965 à Versailles, Yvelines, vit et travaille au Châtelet dans le Cher. Après une formation technique à Sèvres avec Andrée Hirlet, puis un passage aux Beaux-Arts avec pour professeur Boltanski et des résidences en Asie, Patrick Crulis s’installe dans le Cher où il développe un travail sculptural exaltant la « plasticité de la terre, la fluidité des couleurs, le rejet du fini et la rapidité d’exécution ». Ses oeuvres sont présentes dans de nombreuses expositions et ont été acquises par des musées comme Keramis en Belgique.
DELRIEU Alexia, née en 1972, vit et travaille à Paris. Elle aime jouer avec la nature, déformer la réalité, mélanger les genres et les matières pour aller au-delà du réel et recréer de la vie… une zoologie des songes entre rêve et réalité. Elle est co-commissaire avec Raphaële de Broissia de la biennale d’art contemporain Légendes botaniques au château de Menthon- Saint-Bernard (74).
GREGERSEN Mette Maya, née en 1973, formée à la céramique en Angleterre, vit et travaille au Danemark. Le thème de la vague est indicatif de son attention aux rythmes et à l’énergie de la nature. Ses structures dynamiques aux textures et aux émaux inédits offrent une poésie rare à ses sculptures. Elle a fait la couverture du magazine Ceramics Monthly en janvier 2023.
HELMSTETTER Leila, née en 1989, est une jeune diplômée de l’Institut Européen des Arts
Céramiques de Guebwiller, promotion 2022. Elle vit et travaille à Strasbourg. Ses sculptures
en grès aux formes hybrides et colorées ont été très vite remarquées. Son travail a été publié
dans la Revue de la Céramique et du Verre en 2023.
MARCH Paul, né en 1961, se définit comme un artiste visuel. L’argile est son moyen
d’expression et le centre de ses recherches. Il vit et travaille à Genève. Une de ses oeuvres a
été sélectionnée pour l’exposition Migrations qui marquait au Musée Ariana le 50e congrès de l’Académie internationale de céramique.
MATSUI Toshio, né en 1955 à Osaka au Japon, est un céramiste de notoriété internationale. Il a étudié l’art à Kyoto et la céramique à Faenza. Il a reçu de nombreux prix au Japon et en
Europe. Il définit son travail comme une « acceptation de l’expression naturelle du
matériau céramique ».
MECHITA Myriam, née en 1974, est une artiste plasticienne formée aux Beaux-Arts de
Strasbourg. Elle a effectué des résidences à Sèvres entre 2006 et 2011. Elle travaille
actuellement à Berlin. « Ses œuvres cristallisent les forces contraires de la création et de la
destruction ». Elle a eu une exposition solo à la Fondation Salomon en 2021.
POUPLARD Benoît, né en 1976 à Cholet, Maine-et-Loire, vit et travaille à Gennes près de
Saumur en Maine-et-Loire. Issu des sciences de la nature et de l’architecture, formé au CNIFOP
de Saint-Amand-en-Puisaye, il explore une géographie imaginaire autour de l’émail céladon et
de la fonte des glaciers. Son travail a été exposé à la galerie du Don et à la galerie Terra Viva,
et récompensé en 2019 par un International Ceramic Art Award à Quanzhou en Chine.
REGEL Aneta, née 1976 en Pologne, travaille à Londres et est exposée à New York. Son travail se caractérise par la complexité de ses surfaces et de ses textures. Elle a été récompensée en 2019 par un prix d’excellence à la Biennale d’Icheon en Corée.
ROSCIA Nicolas, né en 1981, vit et travaille à Cliousclat dans la Drôme. Formé à la céramique à Aubagne puis à Dieulefit, son travail est instinctif et extraverti. Ses sculptures débordent
d’émail, ses formes sont déstructurées, ses compositions sont parfois des collages. Ses œuvres ont été présentées au salon C14 de 2021 et acquises par le musée La Piscine de Roubaix.
SAHAL Elsa, née en 1975 à Bagnolet, Seine-Saint-Denis, vit et travaille à Paris. Elle est connue pour son exploration de thèmes féministes, ses métaphores végétales et son humour. Elle a étudié aux Beaux-Arts de Paris. Elle est représentée par la galerie Papillon à Paris et est une des égéries de la Céramique contemporaine.
SIMONOD Émile (1893-1977), fondateur de la SISPA (Société Industrielle Savoyarde de Poterie d’Art) à Chambéry en 1926, affirme « Faire de l’art, adapter cet art à tous les besoins de la vie, donner à tous les objets usuels une forme, une couleur, qui soient un attrait. ». Emblématique de la poterie artistique de l’entre-deux guerres.
Van SAN Tamara, née en 1982, vit et travaille à Bruxelles après s’être formée à la Royal
Academy d’Anvers. Ses sculptures céramiques se distinguent par des couleurs et des formes
gourmandes, presque sucrées, au mouvement capricieux. Ses œuvres étaient présentes au
MoCo et à la Villa Datris. Elle est représentée en France par Florian Daguet-Bresson.
VERDIER Anne, née en 1977, vit et travaille à Saint-Victor-sur-Rhins dans le département de la Loire. Venue de la biologie moléculaire, elle se forme à la céramique à l’IEAC de Guebwiller, construit son four à bois et expérimente les cuissons à haute température. Elle amalgame des matières et des émaux et compose à même son four, puis elle extrait, comme d’une mine, la métamorphose de la cuisson. Elle sculpte au marteau. Elle est présente dans les collections publiques comme par exemple au musée des Beaux-Arts de Lyon.
YASSEF George Mathieu, né en 1943, vit et travaille avec Nelly Bonnand à Bénivay-Ollon dans les Barronies. Formé dans les années 60 aux Beaux-Arts de Nice et de Paris, il s’installe en 1971 dans la Drôme où il travaille toujours à sa peinture et à ses sculptures. « Ses statues expriment avec puissance la création de l’univers intérieur de l’homme ».
Ca me donne envie de me replonger dans « Le cru et le cuit » de Cl. Levi-Strauss.