La collection comme passion

La collection comme passion

21 juillet 2023 Non Par Paul Rassat

Rencontre avec Alain Cervantes, qu’anime la passion de la collection. Collection de poterie, de céramique, de pierres, de tessons, mais aussi d’autres productions. Il sera ici question de poterie en général. Un autre article suivra. La rencontre a eu lieu chez Alain le 15 mai 2023, un peu avant sa participation à l’exposition en cours au château de Menthon Saint-Bernard. ( Photo : la passion d’Alain Cervantes au Château de Menthon Saint-Bernard)

D’abord collecteur

 — La terre m’a toujours intéressé, vivante ou desséchée. Il y a toujours quelque chose qui va m’attirer. Ça peut être des cailloux, des tessons. La première pièce de ma collection doit être un tesson ramassé quand j’avais quatre ou cinq ans. Parfois, c’est le mystère qui intrigue : est-ce que c’est un tesson, un fossile, une pierre ? Mon intérêt pour l’archéologie, pour la géologie  vient aussi de ce que ces éléments nous sortent du temps humain. J’étais attaché aux objets d’abord par les questions qu’ils posaient —d’où je viens… ? Est-ce que c’est du vrai, du faux ? — avant la forme, la couleur, la technique. Soixante ans plus tard, j’ai toujours une démarche de collecteur suscitée par la curiosité où que je sois. Tout part d’un choc émotionnel.

Au départ, les brocantes

Partant de ces chocs, on commence à faire des séries. J’ai commencé la collection dans la deuxième moitié des années 90 à partir de poteries vernaculaires achetées dans des brocantes d’été à Annecy où j’arrivais à l’époque. C’est un terrain de chasse formidable pour le collecteur. Les prix étaient très modestes. La mode des objets vernissés rappelait le sud vers lequel je suis allé souvent. Le grès attire moins mon intérêt parce qu’il est davantage du nord de la France ou de l’est de l’Europe.

La poterie comme support commémoratif

Je continue encore cette collection si je tombe sur un bon pichet savoyard patronymique fabriqué entre 1850 et 1950. Le potier personnalisait le pichet en question qui pouvait être commémoratif, porter la mention d’une année plutôt liée à une classe qu’à la date de fabrication. L’un des hauts lieux de fabrication de ces objets était Ferney-Voltaire, où se sont tenues des expositions, ainsi qu’au Musée Château d’Annecy.

Les voyages forment le collecteur

Je commence en même temps à voyager en Asie pour mon travail. Les premiers musées que j’y visite ouvrent mon esprit ! Comme à Jingdezhen pour la porcelaine. J’ai découvert dans les musées les émaux, les effets de surface. Ces effets de couleurs que j’avais repérés dans l’art abstrait, je me suis aperçu que des céramistes l’avaient travaillé eux aussi. Je n’étais toujours pas attiré par la forme mais par la surface supportant un nom dans la poterie savoyarde ou  comme support d’émail dans la poterie chinoise ou asiatique.

En 2003, par hasard, je passe par Limoges et y vois une exposition à la Fondation Bernardaud , exposition sur le céladon organisée par la Fondation Baur de Genève. Je découvre que des artistes contemporains, dont Valérie Hermans, font du céladon. J’achète trois pièces d’artistes vivants pour la première fois.

La relation avec l’artiste, un enrichissement

Est-ce que ça change l’approche ?

Ça rajoute une deuxième dimension puisqu’on a le discours de l’artiste sur son travail. Directement ou indirectement. C’est un enrichissement. Aujourd’hui, sauf exception, je n’achète plus de pièces si je ne connais pas l’artiste, sa démarche. Un grand collectionneur disait qu’il y a trois questions importantes à poser quand on fait l’acquisition d’une œuvre. «  D’où est-ce que vous venez ? Où est-ce que vous allez ? Pourquoi cette œuvre est importante ? »

L’importance de conversation et de la comparaison

Depuis 2003, j’acquérais du contemporain, de la céramique qui correspond à des coups de cœur, de manière décousue. J’ai beaucoup erré mais c’était ma démarche à l’époque. Le changement est intervenu lorsque j’ai pris ma retraite professionnelle il y a cinq ans. En devenant administrateur du Club des Collectionneurs de Céramique, j’ai rencontré d’autres collectionneurs. J’avais effectué un parcours tout seul. J’ai ensuite rencontré des artistes. Puis, au travers des artistes j’ai découvert les galeries qui les exposaient. Sont ensuite venus mes pairs. Même si chaque collectionneur est unique, les rencontres permettent d’avoir un œil plus aiguisé. Je ne suis jamais dans le jugement mais la comparaison aide à avancer. Elle permet de mieux définir, d’affiner le goût, pour peu que le goût soit une donnée pertinente. Elle accélère le mouvement parce qu’il y a une forme d’émulation entre céramistes.

Pourquoi ?

Se pose la question de la possession. Je considère que je ne suis pas possessif. Ce qui pose une question : «  Pourquoi accumuler si l’on n’est pas possessif ? » Je pense qu’une pièce ne m’appartient pas. Elle appartient au temps ; j’en suis le dépositaire. Si j’achète une pièce en cours d’exposition, je ne la récupère qu’à la fin de celle-ci, ou plus tard. J’ai des pièces un peu partout, dont certaines que j’ai peut-être oubliées.

Elles sont une extension de vous-même.

Peut-être. Elles sont faites pour être vues. Le moment le plus important de la collecte, c’est l’achat. C’est aussi le plus facile. Le plus difficile se déroule avant ; le chemin qui vous amène là. Il faut se renseigner, y aller. Après, si la pièce pèse cinquante kilos, il faut se la coltiner.

La conquête

On retrouve Don Juan et le plaisir de la conquête.

Il y a un peu de ça, oui. Le moment le plus excitant est celui de cette rencontre. C’est un « truc à trois » entre l’œuvre, l’artiste et soi-même. Parfois à davantage si l’on inclut le galeriste ou d’autres intercesseurs. Surtout quand on procède sur un rythme soutenu, chaque acquisition est une acmé.

Le Petit Poucet

La métaphore avec l’amour s’impose encore plus (rires).

J’aime bien aussi la métaphore du Petit Poucet à l’envers. J’ai l’impression que je suis derrière le Petit Poucet à ramasser ses petits cailloux blancs. Chaque œuvre achetée est une croisée de chemins entre le collectionneur et l’artiste. Au milieu, l’œuvre marque l’intersection. La collection est peut-être déjà là, et chaque fois que je vois un caillou blanc, je le mets dans ma poche. J’ai la réputation d’être un collectionneur éclectique parce que toutes les matières m’intéressent. J’ai cependant eu récemment une conversation avec un ami collectionneur qui n’aime pas tout ce que j’achète mais qui commence à y voir une cohérence…que je cherche encore.         

Collecter et disperser

Faut-il une cohérence, d’ailleurs ? Je ne sais pas. Je ne suis pas spécialiste du grès ou de la faïence, ni de la porcelaine. Je viens d’acheter un bol d’un artiste qui est en même temps philosophe et poète. Il garde un dixième de sa production, casse le reste et ne montre qu’une partie de ce qu’il garde. Une vingtaine de bols qu’il montre au Japon. Pour une exposition, il écrit un poème de vingt vers et en attribue un à chacune de ses réalisations. Ensuite ? C’est une dispersion. Bols et poèmes partent de leur côté. Je lui ai fait remarquer que sa démarche est à l’inverse de celle du collectionneur qui rassemble en un seul lieu.

La collection comme illusion

Mais vous êtes un contre collectionneur puisque certaines de vos possessions ne sont pas chez vous.

La collection est d’ailleurs une illusion. Quand je ne serai plus là, ces œuvres seront dispersées. Les collections sont des souffles qui consistent à redonner un sens aux œuvres collectées en les rassemblant. Et puis tout se disperse et donne ainsi de nouvelles lectures possibles. Le collectionneur sait que son action est éphémère. Il y a cependant avec la céramique cet oxymore qui consiste à fabriquer de l’éphémère avec de l’éternel  qui entrera dans l’archéologie du futur.

Dis-moi comment tu collectionnes, je te dirai qui tu es

Chacun collectionne comme il vit.

Exactement. Dans le parcours du collectionneur il y a tout le travail de documentation préalable, l’acte d’achat, la gestion —sachant que l’essentiel de la collection est dans des cartons ou des caisses —. Je suis un piètre montreur. Je vais avoir à sortir des pièces pour l’exposition que je vais réaliser au château de Menthon Saint-Bernard en septembre. Mais je ne sais toujours pas ce que je vais montrer, ni comment. Dans le mot monstration, que j’aime bien, il y a monstre. Montrer fait peur !

Circulez!

C’est aussi pour cette raison que je prête ou que je donne. Le don pose problème parce que très peu de musées s’intéressent à la céramique contemporaine, et ceux dont c’est le cas vous disent qu’ils n’ont pas de place. Prêter me rend particulièrement heureux. C’était le cas l’an dernier à l’Isle-sur-la-Sorgue. C’est aussi ce que j’ai fait pour l’exposition en cours au château de Menthon. J’ai acquis une visibilité qui m’ouvre certaines possibilités. Je fais partie bientôt d’un jury… Tout ceci permet au « collectionneur – placard » que je suis de faire circuler les œuvres.