« Les voisins de mes voisins sont mes voisins »
17 février 2022Ce film d’animation est un véritable tourbillon d’inventivité, de fantaisie intelligente. Le Mikado / Annecy le programme les 21 et 25 février, le 5 mars. Nous espérons le voir aussi au Festival International du Film d’Animation d’Annecy. Voici Les voisins de mes voisins sont mes voisins à travers une critique de Talpa suivie d’un entretien avec Christian Pfohl, de la société Lardux.
La vie comme un trail immobile
Un trail sur le Mont Chéri avorté dans un ascenseur façon Voyage autour de ma chambre. Un monde décalé, inversé. Dans sa répétition, le quotidien y devient absurde. L’inhabituel, l’extraordinaire n’y surprennent même plus. La magie, elle, foire et s’échappe de la scène de cirque pour contaminer toute la vie. Autour de ce trail immobile en ascenseur bloqué, tous les personnages veulent partir en vacances, s’échapper. Pour peu cependant qu’on soit attentif et curieux, le voyage est quotidien.
La poésie comme cohérence
L’univers découpé, désuni, décalé du film trouve sa cohérence dans l’inventivité sonore et poétique qui ne cesse de tisser des liens. Le roi et l’oiseau, Trénet s’y invitent en toute liberté. Si le film n’est pas engagé, il est totalement dégagé du poids habituel de la réalité et de l’actualité. Il en joue, la réassemble en une recréation permanente. Comme le dit Rachid Benzine « La poésie ne change pas le monde mais notre relation au monde. »
Les voisins de nos voisins sont nos amis
Christian, si les voisins de mes voisins sont mes voisins, nous sommes tous voisins.
Oui, le titre est génial. Le film est parti de cette particularité de Laure et de Léo qui travaillent sur du recyclage. Ils réemploient, détournent. Pour cette production, ils ont décidé de détourner leurs propres films, de les réassembler. Ils les inscrivent dans un récit qui les lie tous. On passe ainsi de l’ogre au magicien associés à de nouveaux personnages. C’est en plus une immense réussite artistique.
En toute liberté
C’est un conte pour tous publics, enfants et adultes.
C’est la pagaille. Ici on recommande le film à partir de neuf ans, là de dix ans. France Inter pense que le film n’est pas destiné aux adultes. Sorj Chalandon dit que c’est un chef d’œuvre pour grands enfants et adultes. C’est avant tout un film réalisé dans une totale liberté, sans intention de marketing. Ce sont la liberté, l’impertinence et l’audace qui donnent un film tellement différent. À l’opposé de ces réalisations qui déshabituent nos enfants des enjeux essentiels de l’existence avec les programmes jeunesse conçus comme des objets de consommation lisses.
L’art de prendre des risques
L’axe de Lardux, ce sont des « projets atypiques engagés politiquement et poétiquement ».
La ligne éditoriale dépend avant tout des auteurs. Ils font avec nous les films qu’ils ont envie de faire. Avec Marc, mon associé, nous sommes toujours de leur côté. Nous acceptions le risque de nous planter, de ne pas plaire. Je crois un peu naïvement que c’est comme ça que notre travail sera reconnu.
Nous avions parlé, il y a quelques années à Annecy, de cet esprit mai 68, débuts de Canal+.
Nous sommes des passeurs, des surréalistes aux situationnistes. Les mouvements avant-gardistes ne sont plus d’actualité. Nous pensons qu’il faut faire entendre ces générations de poètes et de cinéastes, faire vivre leurs conquêtes, leurs avancées, leur radicalité. Nous continuons à proposer aux spectateurs du spectacle, des moments d’évasion, de divertissement, de réflexion, de beauté avec cette dimension d’avant-garde.
L’animation fait sa révolution
L’animation permet une immense liberté dans la créativité.
D’autant plus qu’avec les nouvelles générations on est dans un phénomène de Nouvelle Vague. Les outils libèrent la création. On s’intéresse au réel, à l’intime, au documentaire animé, pas uniquement au fantaisiste, cartooniste. C’est l’émancipation de l’animation qui se joue là. La nouvelle génération n’est pas née avec les barrières ou les blocages que nous avons connus. Le processus rejoint ce qui s’est passé avec la BD qui traite des sujets sociaux, politiques, des documentaires…
On n’est plus dans l’émerveillement de la découverte technologique et il est possible d’utiliser les outils pour donner plus de sens à la création.
En partie, oui. Et l’arrivée des femmes dans le métier y contribue.
L’esprit Lardux
Le slogan de Lardux est « Des films spéciaux pour des gens spéciaux. On ressort transformé de la projection de ce film ?
Laure et Léo ne font pas des films à messages. Notre slogan indique que nous ne travaillons pas pour tout le monde mais pour des amateurs de tel ou tel sujet. Nous ne cherchons pas des choses fédératrices. Édouard, mon pote de droite en est un exemple. Il a pourtant été diffusé en prime time dans sa version de trois heures et a eu une audience incroyable.
Comme nous sommes submergés de films formatés, la production d’œuvres atypiques dévient d’autant plus précieuse.
J’ai eu la joie d’entendre des producteurs de trente, quarante ans me dire « Vous êtes un modèle pour nous. » Ça a donné Titane avec Kazak Productions.