Marivaux, la mécanique parfaite

Marivaux, la mécanique parfaite

21 janvier 2024 Non Par Paul Rassat

Le théâtre de Carouge donnait La fausse suivante de Marivaux, mise en scène par Jean Liermier. Mécanique parfaite en pays horloger. On pourrait dire en somme « Les Français sont des Marivaux. » Et ajouter avec Voltaire que le grand horloger a créé le monde, que celui-ci tourne sans qu’on sache trop pourquoi. Même Pierre Dubey, qui joue Arlequin, avoue après la représentation que, de l’intérieur de celle-ci, il est impossible d’en voir les rouages !

Des bestioles de personnages

La mise en scène de Jean Liermier, la scénographie de Rudy Sabounghi, montrent les protagonistes comme «  des bestioles de personnages, des moustiques attirés par la lumière. » Celle-ci étant leur intérêt, l’argent. La subtilité, la recherche, la précision de la langue ne serviraient qu’à manipuler, à enfumer ? Terrible jeu sans pâte humaine !

Le scalpel et l’écart

La mise en scène au scalpel laisse cependant un écart. «  C’est cet écart qui m’intéresse , dit le metteur en scène, voici le monde tel qu’il pourrait être. Voici où nous en sommes aujourd’hui. Mais il y a des alternatives et l’art offre des perspectives d’espoir. » Cet écart, ce sont les ombres portées des personnages sur les murs d’un décor façon laboratoire. C’est la tendresse et l’humour qui nous font passer  de Jacques Brel à Cucurrucucu entre le début et la fin de la représentation.

Quantique !

Récemment cité par Talpa, Alexandre Vialatte affirme que la première chose à faire en janvier est de ne jamais employer le subjonctif à la suite de « après que. » La deuxième chose est de continuer. » Jean Liermier cite le philosophe Alain produisant deux chapitres d’un seul mot chacun. Un : continuer, deux : commencer. Liermier, Alain, Vialatte seraient-ils des adeptes de la mécanique quantique ? La réalité n’y est faite que des liens entre les particules que nous sommes, dans l’écart. Écart qui permet à Jean Liermier d’inviter sur le plateau de Marivaux Les ailes du désir de Wim Wenders et l’Êpitre aux Corinthiens. «  Quantique, vous dis-je !

Jeu à somme nulle

Tellement quantique qu’on peut s’amuser de voir aussi dans la démarche théâtrale le bras de Tex Avery, ceux de Guignol, Shakespeare, Molière et d’autres pour obtenir, finalement, un jeu à somme nulle. Le principe de celui-ci est que ce que perd l’un, l’autre le gagne. Le budget, sans la dette, en politique. Marivaux raffine à plaisir ce type d’échange stérile. Le valet Trivelin, par exemple, gagne simplement que lui soient épargnés des coups de bâton . Que gagne chacun des personnages ? Ce qu’il ne perd pas !

Métaphore

Cette partie de théâtre ressemble à une rencontre de football sans arbitre. À la différence du coach Didier qui a coutume de dire «  On a mis de la qualité dans le jeu », la qualité est ici intrinsèque à l’écriture de Marivaux, à la mise en scène de Jean Liermier, au jeu des acteurs incluant parfois cet écart qui les montre en suspens, se demandant mais que suis-je en train de faire ? La métaphore avec le football pourrait mener à des coups pas francs, des dribbles, petits et grands ponts, des roulades de simulation sur la pelouse…

Chaussure à son pied

Le profond intérêt de la mise en scène repose sur une modernisation maîtrisée, qui fasse sens. Quelques objets, lunettes, montre ( nous sommes en Suisse), bar, mobylette, automobile. La télécommande utilisée comme un tournevis avant de trouver son plein emploi répond au tire- bouchon crucifix imaginé pour Beaumarchais l’an dernier. Il serait possible de parler des faux arbres du décor qui ouvrent sur une vraie forêt imaginaire. Reste à souligner l’importance de la chaussure : bottes, croquenots, compensées, pointues, quelconques, à semelle souple pour davantage de liberté de mouvement, tout est étudié. Il arrive qu’on se déchausse et une forme de vérité pourrait apparaître alors. Un bonheur !

Décontenancer ?

Le verbe décontenancer est l’une des clefs de la machination imaginée par Marivaux. Le dictionnaire nous dit que c’est «  faire perdre contenance, mettre dans l’embarras ». La contenance étant ce qui peut être contenu dans les limites d’un contenant : une chaussure ? C’est également « une manière de se tenir, de se comporter ». Et de se déporter ?

Avec la nomination de Rachida Dati à la culture, il devrait y avoir de quoi creuser de ce côté et du côté des chaussures. À suivre.