Maurizio D’Agostini, comment flirter avec l’indicible

Maurizio D’Agostini, comment flirter avec l’indicible

1 décembre 2021 Non Par Paul Rassat

Nous nous étions rencontrés il y a deux ans, à Annecy, chez Jean-Pierre Montmasson. L’exposition en vue a été retardée par un virus indépendant des volontés des uns et des autres. Elle a lieu  du 3/12/2021 au 16/1/2022 au Forum Exposition Bonlieu-Annecy et se nomme « Vers l’indicible ». Voici ce que Maurizio d’Agostini et moi nous étions dit.

Melancholia (sur l’affiche de l’exposition)

Voyages, rencontres et points de vue

Maurizio, tu vis à Vicenza mais tu as plaisir à  bouger pour aller rencontrer des gens. En parallèle, tu as évolué puisque tu t’es adonné à la peinture très récemment.

Je n’ai réalisé qu’une soixantaine de peintures alors que mes sculptures approchent le millier.

Un sculpteur ou un peintre voient le monde différemment ?

Je ne sais pas, mais lorsque je me suis mis à peindre, ça a été comme une renaissance. C’était une autre voie que ne n’avais jamais osé explorer auparavant. Mon frère aîné était déjà reconnu comme un grand peintre. Lorsque qu’il avait neuf ans et moi cinq, je faisais des copies de ses dessins. À l’école, nous étions les deux dessinateurs de l’établissement. Mon père était passionné par la sculpture du bois. Il l’a exercée en amateur seulement.

L’art comme lien…qui libère

Au fond, tu es le lien entre ton père et ton frère.

Ma mère écrivait des poèmes. Nous écrivions tous, dans la famille. J’ai été marié dix-huit ans avec une femme peintre qui dessinait des bijoux pour l’orfèvrerie.

Revenons à tes sculptures. Elles associent une dimension très sensuelle à une autre très hiératique.

Exactement. Je suis moitié-moitié. J’ai un monde très cosmique, tourné vers l’espace et le monde de la sensualité. J’ai une vénération pour la femme, pour sa beauté.

Le sens de la beauté

Tu apprécies de représenter les femmes et leur beauté de même que tu es exigeant pour les autres thèmes que tu abordes.

On peut trouver la beauté dans un geste, dans la voix.

Quand tu commences un travail, tu le vois terminé ou bien y a-t-il une part d’improvisation ?

Ça dépend. Il m’arrive de partir directement dans la pierre ou dans la terre et je me laisse aller complètement. Parfois je fais beaucoup de dessins préparatoires. Ils permettent de fixer l’idée. Elle évolue ensuite pendant le travail de sculpture.

Incarner des idées dans la matière

Il y a une conversation entre la matière et ton travail.

Pour mon travail sur les planètes, prenons Jupiter. J’ai fait une quinzaine de dessins. Je passe d’une esquisse très rapide à un dessin plus élaboré. Je me suis beaucoup inspiré de la musique de Gustav Holst et de son poème symphonique sur les sept planètes. J’ai découvert ce compositeur chez un ami.

Saturne et Venus

D’où l’intérêt des rencontres que nous évoquions au début de notre conversation.

L’Astronome, qui sert d’emblème aux éditions de l’Astronome

Une forme de syncrétisme

Celle-ci s’est passée chez un ami. Un pianiste y a joué un air que j’ai reconnu parce que je l’avais entendu dans un film de guerre. Je suis un vrai cinéphile. C’était Mars, de Gustav Holst. L’idée de mes sculptures vient de cette rencontre.

La musique, les conversations, les rencontres contribuent à ta création artistique.

Oui, mais une promenade dans les bois peut avoir le même effet. J’ai découvert la façon de faire surtout dans la nature et dans l’art des autres.

Les politiciens, les dirigeants veulent modifier le monde. Les artistes acceptent d’être modifiés par lui. Leur œuvre se trouve à mi-chemin entre la réalité qu’ils perçoivent et leur personnalité. C’est un travail d’échange permanent.

Se transformer par l’art

L’art figuratif nécessite de faire passer une idée dans la matière. Il y a forcément une transformation. Je crois que je ne suis jamais arrivé à produire une pièce qui exprime exactement ma pensée.

C’est pour cette raison que tu continues !

J’ai toujours envie de continuer à chercher comment mélanger la beauté terrestre avec l’espace.

Tu as évoqué l’importance de la musique. L’importance du rythme est capitale même en peinture, dans tous les arts. Il est toujours question de vibrations.

La musique est abstraite. On la sent mais on ne la voit pas. Dans mon travail, le rythme peut être très rapide, très lent. J’écoute mon cerveau. L’âme aussi intervient. Il faut une semaine pour réaliser une œuvre de petite taille. Le temps nécessaire pour que tout évolue parce que l’on est toujours influencé en cours de route par quelque chose.

Un Don Quichotte en autoportrait?

Ton père a travaillé le bois. Toi non.

Enfant, je ramassais des bouts de bois que je sculptais. Ma seule réalisation en bois mesure 3 mètres 80. C’est un Don Quichotte. Je travaille la pierre, le marbre, l’argile pour arriver au bronze.

Le printemps

[La discussion se poursuit devant Le printemps. L’œuvre représente une femme dans un foisonnement de fleurs]

Pour nous, Italiens, le printemps est une femme. Celle-ci est en train de se réveiller. La Terre commence à s’animer, elle s’ouvre. La femme naît de ce mouvement et amène tout avec elle, les fleurs, les plantes, le pollen. Elle va bientôt ouvrir les yeux. Elle est une fleur parmi les fleurs. C’est un symbole, une allégorie : la femme est l’image de la création.

D’où vient la forme d’ensemble ?

On la retrouve souvent dans les églises. Le demi-cercle me plaît beaucoup. Il apporte une douceur. Il laisse une ouverture et montre quelque chose en train de se produire, de naître.

L’exposition présente 27 sculptures, 21 tableaux, 12 gravures. Elle se nomme « Vers l’indicible » et célèbre à la fois l’art, le mystère, le spirituel, la sensualité.

Voyage et rencontres se poursuivent à la librairie café Antiope.