Mylène Besson, « En complicités » à Lucinges
14 mars 2022Le Manoir des Livres, au sein de l’Archipel Butor, accueille l’exposition de Mylène Besson jusqu’au 18 juin 2022. Rencontre avec l’artiste.
Poétiser le monde
L’étymologie du mot poésie renvoie à « je fais, je produis, je fabrique. » Tout travail qui fabrique est poésie. Vous écrivez « La matière première que je travaille, c’est le flux qui me pénètre, l’indéfinissable des affects. C’est du noir, du désir. Peindre, dessiner c’est agir, transformer le contact, le frottement de mon corps au monde. » Vous donnez de l’esprit à la matière. C’est la définition de la poésie.
Je n’ai pas d’intention. J’essaye d’être au plus proche de ce qui m’anime. Ma recherche est vraiment là. Sur quoi poser ce désir ? La matière m’enchante parce qu’elle est toujours magique. De l’eau, de l’encre qui coule…c’est toujours tremblant, fragile. Je n’en suis pas maître. Beaucoup de choses m’échappent, se bagarrent en moi. En même temps la représentation est une puissance. Elle permet de se fasciner soi-même. La représentation d’un visage, d’un sexe, d’un corps apporte ça.
S’abandonner au regard pour capter
Il faut se soumettre, s’abandonner, ne pas vouloir conduire pour que ce que l’on a produit soit une forme de domination qui permet de s’emparer de la chose représentée.
Vous vous construisez vous-même par ce processus.
Oui, mais curieusement c’est une soumission, un abandon à ce que l’on voit pour pouvoir l’attraper. Si l’on n’arrive pas à faire quelque chose, c’est qu’on n’a pas bien regardé. On ne s’est pas assez abandonné à ce qu’on voulait.
C’est à l’opposé de tout ce qu’on nous enseigne.
Exactement. Ce qui vient, ça vient. Au point que parfois je ne sais pas si je suis satisfaite ou non de ce que j’ai fait. Mais ce temps passé m’a nourrie.
En complicités
Votre exposition s’appelle « En complicités ». On y retrouve la relation à la matière, à un autre artiste. C’est toujours un chemin à inventer. Ce sont ces complicités qui me permettent d’offrir ce qu’il y a en moi de plus grave, de plus profond. Elles se jouent entre un plasticien, un écrivain et parfois un éditeur. Le Manoir des Livres de Lucinges se prête particulièrement bien à la présentation des livres d’artistes sur des murs-vitrines spécialement étudiées. J’ai beaucoup travaillé avec Michel Butor, originaire de Lucinges. Nous avons réalisé ensemble 35 livres. Le Manoir des Livres fait partie de l’Archipel Butor.
Expérimenter la liberté
Autant que de livres, il s’agit d’expérimentations sur les livres. Je réalise encore des volumen, en rouleaux. Ils sont écrits à la main comme les premiers livres. On ne peut pas parler en revanche d’illustration mais de complicité parce que chacun y apporte son propre univers, un écrivain avec ses mots et moi avec mes couleurs. C’est souvent moi qui propose et crée le livre et sa forme. Ça peut être un leporello, un éventail…J’aime trouver une forme d’expression libre qui traduise directement l’émotion.
À voir les titres de vos travux et séries, on relève « AVEC » « JOUER » « ÇA COMMENCE PAR UN JEU » « MÉTISSAGE ». On retrouve là le jeu, la complicité.
J’ai découvert les livres d’artistes chez Michel Butor. J’y ai vu une telle liberté !
Autodidactisme
En parcourant les textes qui vous présentent, j’ai relevé le mot « autodidacte. »
Je n’ai pas fait d’école. Les choses se sont imposées à moi comme ça, au gré de rencontres. Il faut être poussé par une forme de nécessité. Il y faut de la chance. Je porte encore le fait de ne pas avoir suivi d’école. Il y a des choses que je ne sais pas, que j’ai moins bien apprises.
Ou peut-être mieux.
Je ne peux pas me dire ça. Quand je fais des ateliers, je dis aux gens de faire des écoles pour se débarrasser de ce manque.
L’identité et la liberté d’être soi
On retrouve le thème de l’identité dans votre travail. Vous montrez le plus naturellement possible des sexes féminins vus de dessous entre les deux pieds comme des fiches d’identité. Au même titre que la fresque à l’entrée de l’exposition.
Être une femme et assumer son sexe n’est pas évident. L’histoire de l’art, de la peinture que j’ai décidé d’épouser ne comporte que des hommes. Ce sont des hommes qui représentent les femmes. Il y a en moi la volonté de me réapproprier mon corps. D’où mon travail sur la sexualité intitulé « Ce que voit une femme quand elle fait l’amour. » Je souhaitais me débarrasser des images fabriquées par notre culture pour produire les miennes.
On retrouve l’axe de l’autodidacte. Vos diplômes, vous les obtenez en travaillant à chaque œuvre que vous réalisez.
C’est ça. (rires).
Révélation
Une série de travaux réalisés par Mylène Besson se nomme « Noir et blanc ». Talpa y a vu le retour au laboratoire photo argentique. Le bac du révélateur était magique. L’image y venait à la vie. Les œuvres de Mylène sont des révélations. Très présentes et un peu à distance. Hiératiques. Elles révèlent sans envahir, laissant au spectateur la possibilité d’une rencontre.