Mythes & Meufs 2

Mythes & Meufs 2

24 octobre 2023 Non Par Paul Rassat

Rencontre avec Blanche Sabbah pour Mythes & Meufs 2. Conversation passionnée, passionnante qui associe érudition et école buissonnière.

Partir de la source

En lisant votre premier chapitre sur le thème de l’égérie, j’ai eu l’image de Vanessa Paradis montrée comme un oiseau en cage pour vendre un parfum Chanel. Ce que vous écrivez peut provoquer des échos remarquables. Pourquoi avoir commencé avec ce thème de l’égérie ?

C’est le tome 2 de Mythes et Meufs. Je voulais commencer par un mythe pour honorer le titre. Alors que le premier tome était plutôt une critique, ici je mène une réflexion sur la question d’être autrice, créatrice. Commencer par une déesse qui est une créatrice était particulièrement intéressant. D’autant plus qu’initialement Égérie est la déesse des sources. Elle devient un objet de consommation et une image vide inspiratrice et réceptacle du génie masculin. Je montre comment on a vidé de sa substance cette déesse pour revendiquer à sa place la création.       

 La langue comme véhicule            

Et je mène aussi une réflexion sur le pouvoir des mots, sur le langage et ce qui s’y joue de politique ; « égérie » est devenu un nom commun par l’intermédiaire de Balzac et cette transformation  traduit de manière pertinente la persistance de concepts patriarcaux  à notre insu jusque dans notre langue. Peu de gens connaissent l’étymologie du mot égérie, il m’a donc semblé opportun de la rappeler. C’est ce que je fais dans le tome un avec «  Daphné ». Elle échappe de justesse à un viol et devient un objet fétiche, le laurier. Égérie est donc un écho à Daphné.

L’étymologie comme source

D’où vous vient cet intérêt pour le langage ?

C’est tout simplement un goût personnel. On parle deux langues à la maison parce que maman est espagnole, et prof d’histoire de l’art. Ma grand-mère était prof de lettres classiques, j’ai donc fait du latin, du grec. Comprendre et parler plusieurs langues ainsi que s’intéresser à l’étymologie m’a toujours semblé très puissant. On retrouve aussi la culture antique dans mes BD.

Dépasser les apparentes oppositions

Vous associez une présentation ludique à beaucoup de recherche et de connaissance.

C’est pour cette raison que j’aime bien dire que Mythes et Meufs  est l’aboutissement de mes inspirations diverses. Dans mon parcours personnel, j’ai souvent eu le dilemme entre des études plus classiques, académiques ou bien quelque chose de divergent, comme le dessin et la création. En fait, j’ai envie de tout mélanger, de prouver qu’il n’y a pas de contradiction. Il est possible de faire de la caricature, de la satire étayées par un positionnement politique.

Diverger

Contrairement à notre système scolaire en général, vous utilisez vos connaissances pour produire quelque chose de vivant.

Je suis anti système pré mâché que j’ai beaucoup vu dans mes études.  Ceci rejoint mon engagement féministe. Il y a une certaine façon d’enseigner, une certaine conception de la culture correspondant à un petit club élitiste souvent dominé par les hommes. J’ai été exposée très tard à certaines choses dans mon parcours d’étudiante. On devrait faire de la sociologie plus tôt, continuer à  faire de la littérature au lycée, du dessin, de la musique. Par mes livres, je propose une voie divergente et je facilite le travail des profs. On met tout sur leur dos…Certains d’entre eux font partie de mon lectorat et me remercient de fabriquer des outils qu’ils puissent utiliser pour être plus inclusifs, avoir une ouverture d’esprit. Ils n’ont ni le temps ni les ressources pour le faire eux-mêmes.

Il me semble important de les aider à pratiquer une pédagogie différente.

Digression

Ici, grande réserve de Talpa qui a longtemps pratiqué l’enseignement et a subi le peu de curiosité de nombreux collègues qui ne se lançaient pas dans une voie nouvelle s’ils n’avaient pas eu la formation nécessaire. Cette remarque n’enlève rien au travail remarquable de Blanche, ni au fait que les enseignants subissent une charge de travail et de responsabilité croissante alors que les autres professions bénéficient du passage aux 35 heures.

Vive l’école buissonnière !

La pratique scolaire est très linéaire. Vous créez des chemins divergents, une forme d’école buissonnière, de découverte.

J’adore ce terme, « école buissonnière », je vais vous le voler.

Le patriarcat appauvrit hommes et femmes

En voulant dominer les femmes, les hommes se nuisent à eux-mêmes.  Les nombreuses injonctions qui sont faites aux premières trouvent un équivalent très pauvre chez les hommes : ils doivent être virils et riches.

Le patriarcat avantage les hommes dans presque tous les domaines mais il les conforme aussi à un type de masculinité qui peut être très aliénant. Ceux qui le subissent le plus sont plutôt ceux qui se situent à la marge du modèle viril, les homosexuels, les trans. On essaye de les faire rentrer dans le rang, parfois de manière très violente. Les hommes ont beaucoup à gagner à aller avec nous vers une société plus douce, moins violente, moins compétitive. Le monothéisme accroît cette pression du patriarcat qui peut être aussi politique, militaire. J’aime bien cet angle qui consiste à dire « Vous aussi, vous avez à y gagner ».

Amour et justice    

 Les hommes peuvent se libérer ; il ne faut pas non plus qu’ils le fassent par égoïsme mais parce qu’ils aiment les femmes qui peuplent leur vie. C’est par justice qu’ils doivent rejoindre notre combat. Ce n’est pas plus noble, mais simplement correct.

La complexité plutôt que les catégories prédéfinies

Vous dénoncez souvent les injonctions.

Je leur préfère une complexité qui vient brouiller les lignes entre les différentes catégories entre lesquelles on peut nous parquer. Je dénonce cette ambiguïté du jouet dans mon épisode sur Barbie. Un jouet hyper stéréotypé qui vient en même temps sortir la femme des fourneaux et de la cuisine : Barbie travaille, elle peut être Président, doctoresse, elle peut faire le tour du monde. Cette projection dans une vie d’adulte pouvait être intéressante pour des petites filles, à l’époque. En même temps, on en a fait un objet plastique : esthétique mais aussi jetable, surconsommable, surpolluant. Et puis, est-ce une bonne idée de conditionner les petites filles pour qu’elles deviennent elles-mêmes des poupées ? Je ne sais pas trop.

L’âme des femmes

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme… » demandait Lamartine. Et l’Église s’est longtemps demandé si les femmes avaient une âme. 

Ainsi que les peuples pré colombiens.

La Malinche

Vous parliez du langage. On rejoint ici votre passage sur la Malinche.

Elle est très importante pour moi. C’est une personne qui est connue pour avoir été interprète mais ses paroles ont été perdues. On ne possède pas son récit. Il a été fabriqué a posteriori par des hommes, à qui, par définition il appartient d’écrire l’Histoire. On a dit un peu tout et n’importe quoi à son propos. Elle est la figure de la traîtresse qui aurait rejoint la cause des colonisateurs espagnols.  En plus, elle couche avec l’ennemi : elle couche avec Cortés ! D’un autre côté, une réhabilitation tardive la prône en figure moderne du Mexique. Elle aurait fait la jonction entre les peuples pré colombiens et les Espagnols…         

 Archétypes et régression   

On se retrouve finalement coincés entre deux archétypes, soit traitresse absolue, soir image de la Mère patrie. Cette femme, on l’a racontée avec des archétypes de la Bible comme les mythes que j’essaye de déconstruire. En réalité on ne sait pas qui elle était et ce qu’elle a fait. Certains lui mettent sur le dos la chute de l’empire aztèque ! Elle aurait trahi en manipulant le langage. Ne peut-on pas plutôt considérer qu’elle a œuvré pour que les peuples se comprennent et se demander quel usage a été réellement fait de sa parole ?

Petite digression sur la traduction, ce qu’en disait Umberto Eco.

Encore une source, Éve, et la passion !

Je n’ai pas lu vos ouvrages précédents mais j’imagine que vous avez écrit quelque chose sur Ève.

Bien sûr, dans Mythes et Meufs un ! Incontournable ! Elle est le point de départ de tellement de manières de raconter les femmes !

Vous êtes toujours aussi passionnée ?

Pour la linguistique, le féminisme et la bande dessinée, oui !

Passionnée, la conversation se poursuit. Blanche et Sabbah, chrétien et juif, oxymore.

On revient dans la complexité, dans la nuance.