Lionel Naccache, tous des femmes savantes
11 décembre 2020Lionel Naccache est neurologue. Il ne demeure cependant pas enfermé dans le milieu de la recherche. Les neurosciences cognitives le prédisposaient à s’ouvrir à la société et à la culture. Parlez-vous cerveau, écrit avec son épouse Karine, témoignait déjà d’une volonté d’échange et de transmission.
C’est ce qu’il continue de nous proposer avec cette relecture féconde et à notre goût pertinente de Molière parue chez Odile Jacob.
Fictionnalisation, transformation et résistances
La connaissance implique elle aussi la pénétration. Accepter de s’ouvrir, accepter un moment de déséquilibre — de perdre pied — afin de recevoir quelque chose qui participe à cette fictionnalisation personnelle qui nous construit et nous donne sens.
Sexualité et connaissance comptent également parmi nos processus d’évolution et de transformation.
La connaissance est un poison vital à notre épanouissement lucide et à notre désir de liberté, mais une expérience qui nous expose également au poison de toutes ces menaces d’anéantissement de nos machines à fictions….
Ainsi, si la connaissance est à n’en pas douter une expérience de transformation subjective, la sexualité ne l’est pas moins…Une transformation qui opère à l’un des lieux les plus intimes de notre identité subjective. Un lieu médié par la vie du corps et de l’esprit. Chacun d’entre nous est transformé par sa sexualité.
Lionel Naccache
Se référer à la signification du verbe connaître dans la Bible ne peut que conforter cette analyse. Pour s’ouvrir à la connaissance et à la sexualité, il faut accepter d’être pénétré, même platoniquement, accepter que cet échange nous transforme.
Sexualité et connaissance participent à notre évolution
La sexualité implique une pénétration réciproque d’un être par un autre, qui englobe bien davantage que celle d’organes génitaux. Regards, caresses, complicité, intimité participent pleinement à cette pénétration.
Confusions possibles et conséquences
Mais il ne faut pas confondre information et connaissance, libre accès au corps et sexualité. Il ne faut pas se laisser submerger par une profusion d’informations et d’expériences dans lesquelles ne pourrait pas s’exprimer notre subjectivité. Dans lesquelles notre fictionnalisation personnelle ne peut opérer. Ceci nous réduit au rôle de simples consommateurs. La relation à la prostitution existe aussi dans le domaine de la « connaissance ». Nous devenons alors « impénétrables ». Nous accumulons des expériences, des informations qui ne nous changent pas.
Elles ne font que traverser les éponges que nous sommes. Nous ne retenons que celles qui renforcent nos croyances, accentuant les replis individualistes, communautaires, sectaires. Leur flux est si important que nous ne prenons plus le temps de passer toutes les données au tamis de la raison. Ainsi les fake news s’imposent facilement. Paradoxalement, le complotisme fait son lit sur le besoin d’être rassuré. Ouf ! Il y aurait une intention, même malveillante, à la source de cet océan incontrôlable d’informations.
On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter
Emmanuel Kant
Incertitudes, analyse, débat contradictoire, questions, remise en question, le chemin de l’intelligence est bien long. Mais il nous transforme au lieu de nous conforter dans ce que nous sommes.
Molière contre l’ennui scolaire ?
On pourrait encore dire bien des choses en somme de cette relecture de Molière qui aborde la névrose cognitivo-sexuelle. Qu’elle pourrait contribuer à relancer en milieu scolaire l’intérêt pour un Molière souvent embaumé, momifié et sans intérêt dont seule l’évaluation notée justifie la lecture.
Connaissance et sexualité sont sœurs jumelles, qu’ont défendues Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi, Nancy Huston.
Cette relecture des Femmes savantes serait peut-être l’occasion de revoir la différence entre savoir et connaître.