Ressac de Diglee. Rencontre avec l’auteure
27 novembre 2021La caresse du ressac
Le titre Ressac donne « casser » en anagramme. Vous l’indiquez dans votre livre. De mon côté, j’avais anticipé en voyant « caresse ». Ça fait sens ?
Ah oui. Vous êtes le premier à me le dire, mais ça fait tout à fait sens. Il y a énormément de réparation qui passe par la bienveillance et la tendresse. Celle des femmes que je rencontre là-bas, celle que je porte à mon beau-père, celle qu’il m’a transmise. C’est par cette tendresse que je tiens.
Se concentrer pour se retrouver
Quand vous êtes arrivée ici, chez BD Fugue, vous avez préféré un endroit fermé pour cette conversation, pour concentrer votre attention. C’est ce que vous recherchiez aussi pendant la retraite que vous racontez.
J’avais besoin de ça. Mon attention ne devait pas être sollicitée par d’autres choses que ce pour quoi je partais.
Vous souhaitiez ne pas vous éparpiller pour aller plus en profondeur.
Il fallait couper avec les écrans, les applications de mon téléphone, revenir à l’endroit dans lequel je suis. Pleinement.
C’est un peu le fameux « Connais-toi toi-même.
Oui, d’une certaine façon.
La curiosité comme moteur
Parce que, ce qui ressort de la lecture, c’est que vous avez plusieurs personnalités.
C’est aussi ce qui ressort de mon parcours en général. Ma production est assez variée. Elle va toujours vers ce qui me fait du bien et me questionne. Je suis bien dans le questionnement et ne vais pas toujours vers les choses confortables. Le choix de me lancer dans l’écriture en fait partie. Ceci répond à une curiosité immense.
La relation à l’autre passe aussi par la relation artistique
Vous parlez de honte à plusieurs reprises, en relation avec le regard de l’autre.
Mais je le raconte, je le donne à voir. Si j’avais réellement honte, je ne l’aurais pas raconté.
Vous manipulez le lecteur !
Je garde le contrôle. Beaucoup de gens me disent que l’écriture de soi doit être très difficile. Tant que c’est moi qui le fais, ça ne m’est pas difficile, non. De toute façon, je n’ai aucun moyen de savoir quelle image je renvoie. Si cette démarche ne me permettait pas d’avancer, si elle ne me faisait pas plaisir, les autres ne suffiraient pas pour me la faire adopter. J’aurais pu rester là où on m’attendait. Faire toujours la même chose. C’est moi avant tout que je cherche à faire grandir en écrivant.
C’est dans cette relation aux autres que vous continuez aussi d’avancer.
J’ai un lien très tendre avec ma communauté. Je savais que je ne voulais pas raconter cette expérience sur les réseaux. C’est une forme qui disparaît. J’avais besoin de partager autrement.
Devenir l’autre, pour soi
Vous avez besoin des autres, mais vous écrivez que vous aviez besoin de « devenir cet Autre par moi-même ». De ne plus avoir à compter sur quelqu’un.
C’est en référence à une phrase de Françoise Giroud dans « Histoire d’une femme libre ». On nous habitue à l’idée que l’autre, surtout dans le couple, doit être celui qui reçoit, qui soigne, qui protège. J’ai pu en arriver à attendre trop de l’autre. La grande découverte de ma trentaine a été de découvrir qu’on peut être cet(te) autre pour soi-même. On peut appréhender un paysage seule, se guérir, s’apporter de la bienveillance.
L’amour véritable parce que ne répondant pas à une obligation
La relation à l’autre se trouve enrichie si on se connaît mieux et si on est plus autonome.
Il me semble que quand l’autre n’est pas nécessaire, il a une place beaucoup plus importante. C’est un peu le lien que j’éprouve avec ce beau-père de qui je parle. Je conclus Ressac sur l’idée qu’il me donne un amour sans dette. Il n’est pas mon père, il ne me doit rien. Ce qu’il m’offre et me transmet, c’est de sa propre volonté. À l’inverse, il me demande de ne rien attendre. Ce lien peut disparaître, volontairement ou non. Cet amour est dénué de tout devoir.
Apprendre à s’aider
Alors que les relations tournent souvent sur le besoin de dominer ou d’être rassuré.
Lorsque l’on est enfant, on considère qu’on a des droits. Ce qui est vrai dans la plupart des cas. On veut que nos parents nous aiment, on a l’impression que c’est notre droit premier. Certains parents sont toxiques et ne peuvent répondre à cette attente. Comment trouver des points de respiration, de réparation ? Savoir s’aider, c’est aussi savoir tendre la main pour demander de l’aide. Ma thérapeute est la personne qui m’aide le plus. La démarche nous désengage de ce lien à l’autre où il doit nous réparer.
Appréhender autrement
Une petite remarque amusée. , dans La guerre du faux, Umberto Eco, évoque la relation entre le vêtement et la pensée. Il parle de jeans. Et le vôtre, à plusieurs reprises, est trop serré.
Et mes chaussures ne sont pas adaptées. Elles glissent. Je n’ai pas prise. Je ne suis pas adaptée au lieu, je n’y ai pas de racines. J’essaye d’ouvrir une porte sans y parvenir. Ça peut paraître anecdotique mais c’est symptomatique. Je devais conquérir ce lieu. Beaucoup de choses se dénouent au fil de l’écriture. Conquérir le lieu passe par un ralentissement, par une appréhension de l’espace autre.
L’idéal poétique et très ancré
La relation intérieur/extérieur est intéressante elle aussi. Vous, les murs, ils deviennent vos racines. Une sorte d’osmose s’effectue. Ce qui nous mène à l’écriture. Vous publiez un hommage à l’écriture féminine et à la poésie. Votre écriture personnelle est très poétique elle aussi. On y retrouve régulièrement des phrases sans verbe qui court-circuitent la pensée. Elles la concentrent dans l’évidence. Elles l’allègent de l’inutile et du train train habituel.
Oui, la poésie vient d’ailleurs. C’est une autre partie de l’esprit qui commande. Subconsciente, animale, instinctive.
Lorsque disparaît le sujet
Parfois vos phrases sont sans sujet. « Rêvé toute la nuit…Soirée passée à rire… » Le sujet a disparu. Vous êtes complètement dans le lieu, dans la sensation…
Il est difficile de savoir dans quelle mesure on agit sur ce qu’on écrit. Les phrases nominales me venaient beaucoup de Charles Juliet que j’ai lu quand j’étais jeune. Je m’en sers peut-être maintenant sans m’en rendre compte. Pour ponctuer des paragraphes en leur apportant une aération.
La liberté d’écrire (et d’aimer)
La poésie est aussi dans les enregistrements que vous faites. Ils me renvoient au film Il postino qui évoque Pablo Neruda. Un livre, une œuvre d’art sont encore plus réussis quand ils tissent des liens, ouvrent des portes.
C’est aussi ce que je recherche dans mes lectures. Que j’ai trouvé, par exemple, dans M Train de Patty Smith. C’est un livre d’errance. Elle nous emmène avec elle chaque matin à la même petite table où elle prend son café. Au même endroit. Elle écrit de la poésie sur des nappes en papier, comme elles lui viennent. Elle démarre son livre en en déclarant qu’elle aimerait écrire sur rien. « Et si seulement je n’avais rien à dire. » Je me suis sentie autorisée à quitter moi aussi le fil de la narration pour être plutôt dans le fragment, dans l’instant qui sont nourris par mes lectures du moment et d’autres plus anciennes.
Poésie, dessin, hypnose : quelle aventure !
Pour terminer, cette phrase « L’odeur de paraffine chaude et de fumée donne à l’instant un air de souvenir. » Le temps se télescope.
Mon passé est un présent pendant que raconte et que je vis mon passage dans l’abbaye. C’est le propre de l’écriture. Du dessin parfois. Pour Je serai le feu, je lisais les textes à voix haute. Je cherchais un enregistrement des auteures pour entendre leur voix. Mon cerveau était à la fois au dessin et à ce que j’écoutais. Ça donne comme une hypnose très légère. Je dois être à ce que je dessine sans y être.
Être là sans être là, sans les bagages du quotidien, des habitudes, de la pensée circulaire. Être pleinement là et soi.