Sylvain Bordesoules, des charognes aux étoiles via la poésie
18 octobre 2023Entretien avec Sylvain Bordesoules
Montrer la beauté du quotidien
Avec ton livre, L’été des charognes, on part des charognes pour arriver dans les étoiles.
Simon est un grand poète. Son parti pris est de parler du quotidien et d’en montrer la beauté, de le sublimer. Cette analogie charognes / étoiles résume assez bien son travail et ce qui m’a plu dans son livre.
Ton livre est très charnel, incarné, et c’est la poésie qui permet d’accéder aux étoiles.
Oui, il me fallait garder le maximum de son texte. Mais en commençant à le travailler j’ai eu envie de montrer de belles couleurs, la beauté dans le quotidien. La poésie y aide parce qu’il est question de situations violentes, pas toujours joyeuses dans lesquelles il est malgré tout possible de voir une forme de beauté.
Le projet de la dernière / première chance
Comment définir ton travail ? Il se situe entre le dessin et la peinture. Les traits ne sont pas toujours visibles. C’est un choix particulier pour ce livre ?
En réalité L’été des charognes est mon dossier de diplôme. Il fallait faire une quinzaine de pages pour l’obtenir. Je suis parti dans cette direction parce que ça me plaisait, c’était un amusement. J’ai développé la technique du feutre en même temps que je développais le projet qui était un peu ma dernière chance. J’ai repris des études après être passé par la vente, faute de moyens. Je voulais donc me retrouver pleinement dans mon art, prendre le temps de bien faire les choses On travaillait le feutre avec l’école, le projet est arrivé en même temps. Cette coïncidence a fait que ce medium est devenu ma façon de travailler désormais.
Traduire son enthousiasme personnel
Effectivement, la lecture donne l’impression que les choses se créent au fur et à mesure, en une sorte de découverte. Ton travail structure et laisse ouvert à la fois.
On me parle pas mal d’impressionnisme. Je suis plus dans les sensations que dans le trait qui m’ennuie un peu. Au départ, mon dessin était très figuratif, mais ça ne marchait pas. C’était bon techniquement mais sans enthousiasme. Cette base technique de départ m’a donné confiance et m’a permis une forme de lâcher prise. Pour moi, rendre mon intention prime sur la précision du trait.
Cette façon de procéder laisse beaucoup de liberté au lecteur.
Tant mieux si le lecteur peut mettre de ses sensations et sentiments dans sa lecture.
La cohérence des souvenirs en question
Tu parlais de lâcher prise. La notion de temps est primordiale dans cet album. Il est tellement étiré qu’on s’y perd, jusqu’à le revivre autrement à la fin, dans la relation avec les étoiles. Le temps des étoiles rejoint presque l’infini. Tu fais danser le temps.
C’est un peu comme dans la vraie vie. On ne se souvient pas de tout, plutôt de quelques moments clés. Il m’arrive d’avoir l’impression d’être immortel, de penser de la même manière depuis que je suis enfant alors qu’il y a plein de choses dont je ne me souviens pas.
Évocation de la picnolepsie définie par Paul Virilio comme ces moments d’absence que peut vivre un enfant .Ce vide qui est indispensable au jeu et à la création.
La promesse des anges
Tu pars des charognes pour nous amener vers les étoiles, et la promesse à venir concerne les anges !
Je me suis arrêté un peu avant la fin du livre de Simon, avec son accord pour éviter de faire un pavé, et puis je me reconnaissais un peu moins dans cette fin. Je souhaitais laisser de l’espoir, signifier que l’on n’est pas prisonnier de là où l’on vient. Simon y arrive d’une autre façon.
Les anges, Nice, c’est parfait !
C’est un clin d’œil puisque je viens de Nice. Je commence avec l’enfance de Simon et finis avec la mienne en mélangeant les deux. La première page de ma prochaine BD s’ouvrira avec la dernière de celle-ci.
Soi comme fiction ?
Tout ça va finir par donner une énorme autobiographie !
Peut-être pas, mais L’été des charognes m’a fait travailler sur moi et la suite est venue naturellement. La base de départ est suffisamment pertinente pour que je puisse continuer. Pour l’instant j’ai besoin d’aborder dans mon travail des choses que je connais avant de passer peut-être plus tard à davantage de fiction.
Précision intéressante qui pousse à se demander si nous ne serions pas, nous humains, en réalité, les fictions les plus accomplies. Il est aussi question de Xavier Mussat, qui a été le professeur de Sylvain au CESAN. Professeur dans la transmission, l’accompagnement et la complicité. On rejoint ici la formule de Jean-François Revel « Les bons professeurs forment de bons autodidactes. »