Tribune pour la culture et l’art vivant

Tribune pour la culture et l’art vivant

14 juillet 2024 Non Par Paul Rassat

D’Avignon, Hugo Roux souligne l’importance vitale d’une réaction à la situation politique et culturelle. Sa génération prend ses responsabilités et la tribune pour la culture lancée dans Le Nouvel Observateur pourrait permettre de dépasser les atermoiements et les polémiques pour susciter l’équivalent de ce qu’a été la décentralisation en son temps. Conversation avec Hugo Roux. ( Photo, Les raisins de la colère©Christophe Raynaud de Lage)

L’ambiance au Festival d’Avignon est étroitement liée à la situation. Nous sommes tellement dépendants des politiques, au sens large ! D’où l’inquiétude de tout notre secteur. Si le résultat des élections nous rassure, nous restons extrêmement préoccupés par la normalisation de certaines idées et leurs conséquences sur la culture.

On sent cette crispation à Avignon ?

Oui. Avec des camarades nous avions d’ailleurs publié une tribune dans Le Nouvel Observateur : « Que ferons-nous quand le député RN viendra serrer des paluches à l’inauguration de nos festivals de théâtre ? »

Nous avons essayé de nous organiser au mieux face à l’imminence de la catastrophe. Puisqu’elle a été évitée de justesse, comment capitaliser sur cette nouvelle solidarité pour inventer des outils ?

Cette tribune est partie de quatre rédacteurs,  Victorien Bornéat, Maya Ernest, Hugo Roux et Hugues Duchêne.Voilà pour les quatre de départ. La tribune a été signée ensuite par plus de 250  personnes. Elle est assez représentative des préoccupations de notre génération.

La crise actuelle oblige les gens de culture à réagir. C’est ta génération de trentenaires qui reprend le flambeau.

Cette crise est le déclencheur mais la situation se dégrade depuis un certain temps. De plus en plus de gens veulent travailler dans ce secteur alors qu’il y a de moins en moins de possibilités d’y parvenir et de s’y maintenir. Les dotations des collectivités, le nombre de représentations…tout le système est en perte de vitesse, moribond : il faut le réinventer. Mettre en valeur certaines choses qui existent, comme le Festival de Malaz. Comme tous ces Festivals de plein air portés par notre génération, inventés et construits par elle comme de nouveaux espaces de diffusion. Il faut les mettre en réseau, les faire reconnaître par le Ministère. Leur situation actuelle est précaire parce qu’ils reposent sur l’énergie, le bénévolat de beaucoup de gens alors qu’ils sont indispensables.

Ta démarche est vraiment cohérente : cette tribune résonne avec ton travail théâtral engagé, social, politique, comme ton adaptation des Raisins de la colère.

Il est aussi très intéressant d’échanger, de se mettre en réseau et de voir que chacune et chacun utilise son outil artistique pour parler au plus grand nombre avec des méthodes différentes . Moi, je me place en premier lieu du côté de la fiction pour ne pas sombrer dans une forme de didactisme. Il ne faut pas perdre de vue que les gens viennent au théâtre pour qu’on leur raconte des histoires. C’est à eux ensuite d’établir le lien avec la situation qu’ils vivent. C’est ce que je leur propose avec Les raisins de la colère. Nous ne devons pas dire au public ce qu’il doit penser mais lui fournir de quoi enrichir sa réflexion. Et continuer de faire notre autocritique, qui était l’objet de notre tribune. Si nous en sommes là politiquement, le milieu de la culture et celui du spectacle vivant y ont une part de responsabilité. Ariane Mnouchkine avait publié une tribune antérieure à la nôtre. Elle soutenait qu’il ne fallait pas appeler à voter pour le Nouveau Front Populaire. Ceci a provoqué une sorte de tollé dans le milieu. On lui a reproché de décourager les gens. Nous, les quatre signataires de la tribune du Nouvel Obs, avons été saisis par la violence de la réaction opposée à Ariane Mnouchkine. Il n’y aurait pas eu d’autocritique à faire ! L’autocritique s’impose pourtant, dans les formes que l’on propose, dans la manière dont on s’adresse au public, dans les liens que l’on entretient avec le territoire. C’est  cette réflexion que la compagnie Demain dès l’Aube met en application. Peut-être faut-il, partant d’une culture décentralisée, parvenir à une culture qui soit située, avec des initiatives de proximité, à l’instar du Festival de Malaz, qui permettent à des gens de trouver à leur porte du théâtre, dans des structures plus accessibles.

«  Décentralisée » implique toujours une référence à Paris alors que « située, localisée » relève de l’invention sur place. Et puisque nous connaissons bien Annecy tous les deux, il est important de bien distinguer la culture et l’événementiel, même si celui-ci  est important.

Cet exemple est pertinent. Et on peut se demander si dans une ville comme Annecy on continue à fonctionner à partir du centre ou bien à partir des communes déléguées.

Il est intéressant que ta génération se pose ces questions afin de redonner un élan comparable à celui qui est né il y a quelques dizaines d’années.

Notre tribune trouve beaucoup d’écho à Avignon, elle suscite  de la sympathie, des rencontres. Au soulagement provoqué par le résultat du second tour succède l’interrogation ; comment capitaliser sur cette mobilisation ? Il ne faudrait pas que chacun revienne à ses réflexes de survie liés à la grande précarité que nous subissons en perdant de vue les enjeux plus globaux. Il faudra sans doute attendre la rentrée pour se réorganiser.

L’inquiétude a culminé avec les élections, mais elle était déjà perceptible avant. La nomination de Rachida Dati à La culture, par exemple, ne constituait pas une marque de grand intérêt pour celle-ci. 

Oui. Les quatre instigateurs de la tribune nous étions réunis avant le scrutin législatif, pensant appeler à la tenue d’états généraux au Ministère de la culture. L’acuité de l’actualité a modifié notre mode d’action qui a débouché sur cette tribune.

Le Festival d’Avignon répercute ces tensions politiques. Le public y est moins dense que les autres années. Les JO et d’autres facteurs jouent aussi, certainement. Espérons qu’un nouvel élan naîtra, porté par une génération qui ne se contente pas de subir, de vivre d’un ruissellement dont le courant principal va irriguer d’autres secteurs jugés plus importants. À une personne qui lui conseillait de couper les subventions accordées à la culture pour accroître l’effort de guerre, Churchill aurait répondu : « Si ce n’est pour la culture, pourquoi nous battons-nous alors ? »