Tu es jeune ? Ton vote m’intéresse !

Tu es jeune ? Ton vote m’intéresse !

30 janvier 2022 Non Par Paul Rassat

« Pour parler franchement, votre argent m’intéresse » affirmait la BNP sans détours. Et les candidats à la présidentielle d’imiter la banque. Revenu citoyen ici, revenu d’autonomie là, revenu étudiant ailleurs. Prêt à taux zéro, prêt de formation, exonération pour accession à la propriété. À partir de 18 ans. Jusqu’à 30 ans. Pour les jeunes actifs, en formation qualifiante. La chasse au jeune bat son plein !

Les jeunes

Alain Rey écrivait « Parfois synonyme d’adolescent, parfois de mineur, le mot…emporte des associations d’idées bien différentes de celles de jeune homme, jeune fille ou jeunes gens, et ne les remplace pas.

Tout se passe comme si le statut de jeune, entre l’enfant et l’adulte, était réservé au répertoire des problèmes sociaux… »

L’adjectif jeune perd de sa positivité en devenant un substantif plus ou moins générique. Le jeune est rarement isolé. Il fait bloc, masse. On l’associe à la violence dans les quartiers.

Ambivalence

Il arrive que l’évolution du vocabulaire désigne un problème. Si les jeunes ont pu représenter un marché, un débouché commercial particulièrement intéressant, ils posent problème. Depuis mai 68. Le vivre ensemble est apparu avec les problèmes « sociétaux ». L’adjectif « sociétal » étant lui-même né de cette difficulté issue du déclassement du mot social. Sociétal est plus dans l’air du temps. Il ressemble à une mode. Faire société pointe la même difficulté à vivre ensemble. Le vocabulaire permet ainsi de pointer un problème davantage qu’il n’aide à aller vers une solution.

Sectorisation

L’adjectif clivant est de cet ordre. On clive. Les jeunes. Les étudiants. Les jeunes en formation qualifiante. Les vieux. Le quatrième âge. Les chômeurs. Les chômeurs en formation, comme les trous sur la route. Nicolas Sarkozy préférait le travail partiel au chômage partiel, deux expressions indiquant la même réalité.

La loi du marché

Il semble que, tant qu’on sera soumis à la loi du marché, clivage, inégalités et adaptations maladroites de notre vocabulaire à une réalité qui nous échappe seront de mise. Notre société ressemble à un immense marché. Nos camelots y donnent de la voix «  Ma prime pour les jeunes ! Ma prime toute fraîche ! ». « Mon EHPAD pour vos vieux ! » « La relance de l’emploi ! » « Soutien au travail ! » «  Vive les formations qualifiantes ! » À quand une approche qui rassemble réellement au lieu « cliver », de séparer les gens en fonction de leurs intérêts immédiats pour ceux qui survivent, à long terme pour ceux qui en ont les moyens ? Une loi du charmé et non du marché.

Post-Scriptum

 Extrait du Post-Scriptum qui clôt Le choix du chômage De Pompidou à Macron, enquête sur les racines de la violence économique. «  Si les capitalistes ne peuvent plus faire de profits, ils n’existent plus. Leur système tourne d’autant plus à vide qu’il y a un épuisement des gains de productivité qui constituent le vrai moteur du capitalisme. Le problème, c’est que ce sont toujours les mêmes néolibéraux qui administrent l’économie durant la crise sanitaire !…Confronté à ses propres contradictions, le « modèle « néolibéral » n’a désormais plus d’autre solution que de faire taire la contestation par la répression et le contrôle de la parole publique… » Romaric Godin  craint une convergence entre les néolibéraux et l’extrême droite. « La paix néolibérale » consiste à demander aux gens de se satisfaire de la violence qu’ils subissent au quotidien : chantage à l’emploi et violence managériale. »

Nous faisons partie, avec les jeunes, d’une grande famille

Le parallèle entre le pays et une famille est fréquent. On gérait autrefois un pays, une entreprise « en bon père de famille ». Et nos ministres de comparer le budget de la France à celui d’une famille. Bruno Lemaire rappelle qu’il nous faudra rembourser notre dette en vingt ans. C’est à discuter. Mais ce modèle paternaliste renvoie à des statuts déplaisants et surannés. L’autorité paternelle. De plus en plus de femmes ont accès à cette autorité, ce qui est bienvenu, mais elle s’exerce toujours sur le même modèle. Les jeunes, contestataires, irresponsables, rechignant à travailler, comme les noirs étaient autrefois considérés comme des enfants tout juste bons à chanter et à danser.

Déresponsabilisation, infantilisation

Si nous laissons nos émotions prendre le dessus sur nos intérêts, nous risquons la catastrophe. C’est ce qu’explique Steven Pinker dans Rationalité. Nous ressemblons à Ulysse qui se fit attacher au mât de son navire pour entendre le chant des sirènes sans pouvoir les rejoindre. Nous nous en remettons à un patron, à un employeur, à un élu. Ils prennent pour nous les décisions censées établir un équilibre entre la satisfaction immédiate de nos désirs et la gestion à long terme de nos intérêts. Ce système est louable…s’il défend réellement nos intérêts. Il nous permet, par exemple, d’organiser notre retraite.  Il semble cependant que cette confiance ne soit pas toujours payée en retour. Déresponsabilisés par un système scolaire archaïque, par l’opacité de certaines structures, nous nous laissons, tels Ulysse, attacher au mât. Et puis nous ne réagissons que si les derniers centimètres de corde sont trop serrés.

Alors les jeunes !

Souvenir de l’été 68. Quartier de la Huchette, Paris… J’ai 17ans et me promène avec mon père. Une estafette Renault est garée dans la rue. Un policier parade devant. Il fait tourner sa matraque «  Alors les jeunes, on monte faire un tour ? »