« Le loup », Rochette un conte initiatique

« Le loup », Rochette un conte initiatique

31 janvier 2022 Non Par Paul Rassat

Deux doubles pages, de 26 à 29. Pas de présence humaine dans les deux premières. Tout le reste du livre est « habité » par le héros qui impose sa présence, sa loi. « C’est pas vous qui allez faire la loi dans mes montagnes », déclare-t-il à des gardes. Il vit à la dure dans un environnement où les actes valent plus que les paroles. À la limite, entre la société des hommes et le monde qu’il s’est construit, il  trimballe la disparition de son fils au Mali, sa sensibilité à fleur de peau, la nécessité de survivre.

Face à face

On pense, de loin et dans un autre contexte, à L’œil du loup de Pennac. Ici, l’environnement est sauvage, dur. Le lien avec la nature est concret, immédiat, permanent. Gaspard domine ses sentiments, les animaux, les autres pour y imposer sa présence.  Le jeune loup avec lequel s’instaure un face à face cruel puis une forme de conversation constitue une métaphore. Il est cette part animale que Gaspard maîtrise mal en lui. C’est finalement la nature, mieux comprise, qui apaise l’ensemble des relations.

Un dessin « nature »

Le dessin de Jean-Marc Rochette est fort, énergique. Rien de trop. Il donne à chaque instant une profonde intensité, sans s’interposer pour diluer l’intention dans une esthétique superflue. Cette énergie irradie dans la page 43, par exemple : intensité des regards croisés, aspérité du paysage. Une petite préférence pour le troisième dessin de la page 50, en ombres chinoises et tout en tension.

Les vraies connexions

« Sont à présent reconnus à certains d’entre eux [les animaux] une histoire qui leur est propre, des modes d’organisation sophistiqués, des manières singulières et inventives de faire société, avec souvent des êtes d’autres espèces, voire d’autres règnes. Cette révolution épistémologique…pose, de manière de plus en plus aiguë, la question de comment apprendre à vivre avec les animaux d’autres espèces que la nôtre et celle… de comment eux-mêmes arrivent à le faire dans un monde où les interdépendances semblent de plus en plus constituer la règle….Tout est connecté à quelque chose, qui est connecté à quelque chose, et c’est suivre ce tissage d’impacts qui permet de comprendre et d’agir. Peut-être bien que tout est connecté à tout, mais la manière et la proximité des connexions réelles importent avant tout. »

Vinciane Despret et Baptiste Morizot Relions-nous.

Nature et consommation

Dans la postface  de cet album Le loup Baptiste Morizot souligne que le monde pastoral est en mutation. Bonne chose car c’est l’homme qui avait transformé les moutons en gigots sur pattes pires encore que ceux de Panurge. Nous devons réapprendre de la nature, des animaux que nous n’écoutions pas car seule comptait leur soumission permettant de les exploiter. Talpa, aime bien creuser et se demande si nous, humains, n’aurions pas accepté pendant trop longtemps d’être des moutons aux yeux de ceux à qui nous confions la charge de nous diriger. Si nous ne faisons pas partie de l’immense enjeu : qui consomme qui? Quand un loup apparaît, nous tremblons ou fonçons vers le ravin. Merci Jean-Marc Rochette, pour cette invitation à nous voir autrement dans une nature que nous partageons.